Le 17 octobre 1961, entre 20 000 et 40 000 Algériens et Algériennes manifestent pacifiquement pour le droit de l'Algérie à l'indépendance, contre le couvre-feu qui les vise depuis le 5 octobre, contre la relégation, contre les discriminations, contre la violence qu'ils subissent depuis des années en métropole et dans les « départements français d'Algérie », comme on disait alors.
La police, sous les ordres du préfet Maurice Papon, déchaîne une répression sauvage : 14 000 manifestants sont arrêtés, maltraités ; des dizaines, peut-être des centaines sont arrêtés, torturés, assassinés. Le nombre exact des victimes demeure encore aujourd'hui inconnu. Les cadavres sont retrouvés dans la Seine pendant des jours.
C'est le 31 octobre 1961 que le corps de Fatima Bedar est repêché dans les eaux du canal Saint-Denis à Aubervilliers. Elle avait 15 ans. Lorsque son père se rend au commissariat pour signaler sa disparition, il est accueilli par des insultes, des bousculades, des coups même. Lorsqu'on le convoque le 31 pour identifier le corps de sa fille, les policiers lui annoncent qu'ils ont conclu à un suicide. Quelle violence dans ce silence et ce mépris imposé à cet homme qui avait combattu pour la France en 1940 puis participé à toutes les campagnes de la Libération, de l'Italie jusqu'en Allemagne, en passant par la Provence et l'Alsace, à ce travailleur installé en métropole en 1946 pour reconstruire le pays !
Rappelons que, dès le lendemain des faits, une seconde violence s'installe, symbolique mais tout aussi cinglante, tout aussi inhumaine : celle du déni et du mensonge d'État. Le pouvoir impose la censure. La grande majorité de la presse reprend le discours officiel empreint de racisme. Ils taisent le nombre de victimes, rendent les manifestants coupables. La loi du silence règne pour longtemps autour des crimes de la nuit du 17 octobre.
Il a fallu une lutte longue de plusieurs décennies pour rompre ce silence, pour contraindre la République à commencer à reconnaître ces crimes : par la voix du président Hollande, en 2012, puis celle du président Macron en 2021. Cette reconnaissance arrachée, c'est la victoire des descendants des victimes, des militants des associations anticoloniaux et antiracistes, des historiens engagés aussi.
Toutefois, cette reconnaissance demeure incomplète car soixante-trois ans après les faits, le combat n'est pas encore achevé. Il faut une déclassification complète des archives