L'élévation du niveau de tension dans le monde et les ambitions interventionnistes des régimes autoritaires font peser un risque croissant sur la stabilité de nos démocraties. De multiples exemples récents attestent que la France n'est pas épargnée par la volonté de la Russie de déstabiliser les démocraties européennes, par celle de la Chine qui souhaite s'assurer une position dominante dans l'économie mondiale, par celle du pouvoir iranien qui veut développer un modèle de société théocratique et parfois, hélas, par celle de nos alliés. Face aux cyberattaques, à l'ingérence électorale ou aux logiciels espions, notre démocratie doit pouvoir se défendre. Il ne faut pas être naïf en la matière : le péril est certain.
Outre les traditionnels services de contre-espionnage, la France s'est récemment dotée d'outils pour lutter spécifiquement contre les nouvelles formes d'ingérence étrangère, en particulier dans le débat public. Émanant des travaux de la délégation parlementaire au renseignement et fondé en grande partie sur son dernier rapport annuel, le texte que nous examinons a l'ambition de les compléter.
Permettez-moi tout d'abord de clarifier les deux notions présentes dans le texte : l'influence et l'ingérence. L'influence est légitime pour tout État utilisant ses moyens diplomatiques, politiques, économiques ou culturels afin de promouvoir ses intérêts stratégiques, son modèle de société, ses valeurs. La France elle-même est ainsi active sur la scène internationale. Nous pouvons donc tolérer, sans risquer d'être déstabilisés, un certain degré d'influence de la part d'États tiers – cela étant dit, un peu de transparence en la matière ne saurait nuire.
L'ingérence, quant à elle, désigne l'intervention malveillante – et le plus souvent cachée – d'une entité étrangère dans les affaires intérieures d'un État à des fins de manipulation ou de déstabilisation politique, économique ou sociale. Elle peut alors menacer la souveraineté nationale ou la cohésion sociale du pays visé. Notre démocratie doit pouvoir, légitimement, se protéger contre ces procédés ; elle ne peut le faire que dans le respect de ses propres principes, qui sont ceux de l'État de droit.
J'en viens aux articles de la proposition de loi.
Nous sommes particulièrement favorables à l'article 1er , qui impose la transparence en créant un registre des représentants des intérêts de puissances étrangères. La gestion de ce registre sera confiée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Afin qu'il soit pleinement utile, il convient de limiter au maximum les exceptions dont il fait l'objet – nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.
Si l'impératif de transparence est nécessaire pour ce qui concerne les représentants des intérêts des puissances étrangères, il importe aussi de susciter un débat public sur les questions tant d'influence que d'ingérence. À cet égard, l'article 2, qui prévoit l'organisation régulière d'un débat sur le sujet au Parlement, nous paraît utile – quoique la périodicité de ce débat puisse être discutée. Nous n'émettons en tout cas aucune objection de principe à cet article.
L'article 3 est celui qui pose le plus de problèmes. Il autorise les services de renseignement à mettre en œuvre des traitements automatisés destinés à détecter des connexions et navigations sur internet ou par téléphone susceptibles de révéler l'existence d'une menace d'ingérence étrangère. Cette méthode était jusqu'à présent limitée à la lutte contre les menaces terroristes ; elle avait été introduite dans la loi à titre expérimental, puis pérennisée. II est regrettable que l'on en étende l'usage sans que nous disposions de rapports sur le sujet.
Les auditions, notamment celle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, font douter de l'efficacité réelle de ces algorithmes. Je peux entendre que leur utilisation soit plus opportune pour détecter les ingérences étrangères que pour lutter contre les menaces terroristes, dans la mesure où l'on rencontre des motifs plus réguliers dans le premier cas que dans le second ; néanmoins, même si les autorisations sont très encadrées, on touche là à une liberté fondamentale. En conséquence, nous proposerons par voie d'amendement de restreindre le champ d'application de ces algorithmes, de manière à en limiter l'utilisation à la prévention des ingérences étrangères, voire, idéalement, à celle des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ; ces notions sont en effet bien définies, alors qu'en l'état, la rédaction de l'article couvre un domaine beaucoup trop large.
L'article 4, qui porte sur le gel des avoirs, ne soulève selon nous aucune difficulté. Nous en partageons l'objectif. Même si cette mesure ne résoudra pas le problème des ingérences étrangères dans son ensemble, c'est un pas important, qu'il convient de saluer.
Le vote du groupe Écologiste sera déterminé par le sort réservé aux amendements à l'article 3, dont nous voulons restreindre strictement le champ aux ingérences étrangères.