Je ne m'étendrai pas sur l'absolue nécessité de lutter contre les ingérences étrangères, objectif que nous partageons toutes et tous, du moins je l'espère. Au cours des dernières années, les exemples d'ingérence ont été suffisamment nombreux et documentés pour faire de ce sujet une préoccupation légitime de l'action publique. Dès lors, il nous faut disposer des outils nécessaires à la protection de notre souveraineté et de notre démocratie, dans le respect intransigeant des libertés fondamentales garanties à nos concitoyens. La présente proposition de loi entend adapter ces outils et nous en saluons l'initiative.
La création d'un répertoire numérique des représentants d'intérêts agissant pour le compte d'un mandant étranger, prévue à l'article 1er , est à cet égard tout à fait opportune. Nos interrogations portaient, lors de l'examen en commission, sur la définition du « mandant étranger » : elles ont été partiellement entendues et nous nous en félicitons. Une réserve demeure néanmoins, et sera l'objet d'un de nos quelques amendements sur cet article : en l'état actuel du texte, seules les associations à objet cultuel seraient exemptes de déclaration, ce qui s'explique assez difficilement et nous demanderons à prévoir cette exclusion uniquement pour les associations de défense des droits fondamentaux.
L'article 3, qui élargit les finalités au nom desquelles les services de renseignement peuvent recourir à la technique dite des algorithmes, concentre en revanche nos principales préoccupations. Sans remettre fondamentalement en cause la technique en tant que telle, nous nous interrogeons en effet sur son intérêt quant à l'objectif recherché. Aujourd'hui limité à la lutte contre le terrorisme, l'usage de cette technique algorithmique n'est pas sans poser problème du point de vue du respect des libertés fondamentales. « Particulièrement intrusive » selon les termes de la Cnil dans un avis de mai 2021, elle consiste non en une surveillance ciblée, mais en une analyse de l'ensemble des données de connexion de groupes de personnes. L'élargissement des finalités requises pour en justifier l'utilisation soulève également la question de l'efficacité de la technique qui, paramétrée trop largement, pourrait finir par noyer les services chargés du suivi.
De plus, la durée de l'expérimentation prévue pour quatre ans, avec un rapport remis au Parlement seulement six mois avant son terme, nous apparaît manifestement excessive. Nous proposerons donc de réduire de moitié la durée de l'expérimentation et en conséquence la date de remise du rapport pour que le Parlement soit à même d'évaluer la mesure et son intérêt plus rapidement.
En outre, dans le souci de préserver les droits et libertés de nos concitoyens, nous avons déposé un amendement prévoyant que les modifications apportées à l'algorithme de surveillance prévu par le texte soient soumises à un avis conforme de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Eu égard à la composition de ces organismes tout comme à l'opacité du paramétrage de cette technique de renseignement, ces avis conformes constitueraient une garantie démocratique importante.
J'ajoute qu'au cours des dernières années, de nombreuses expérimentations du même type que celle qui nous est proposée ont été ouvertes sans que nous soyons véritablement en mesure de nous en saisir. Pour quelle raison ? Du fait d'un manque cruel de moyens humains, pourtant déterminants pour leur efficacité. Quel intérêt avons-nous à multiplier les algorithmes, par ailleurs potentiellement liberticides, si nous n'avons pas suffisamment d'hommes et de femmes pour analyser les données récoltées ? C'est pourquoi nous allons demander que le Gouvernement remette au Parlement un rapport détaillant les besoins des services de renseignement en la matière pour lutter efficacement contre les ingérences étrangères.
Enfin, je souhaite évoquer les carences du texte. Ainsi, l'absence de mesures relatives au droit électoral est tout à fait regrettable. Elles auraient permis l'instauration d'un régime d'autorisation en lieu et place d'un régime déclaratif, sous contrôle de l'État, des anciens responsables politiques souhaitant se mettre au service de puissances étrangères. Par ailleurs, des mesures relatives à la diffusion de chaînes de télévision étrangères auraient été bienvenues. L'exemple de la China Global Television Network, chaîne de propagande du parti communiste chinois ayant fait l'objet d'une révocation de licence et d'une amende au Royaume-Uni pour partialité, atteinte à la vie privée ou encore traitement injuste par sa couverture de l'actualité, et qui continue d'être diffusée chez nous est, à maints égards, prégnant.
La position des députés du groupe Socialistes et apparentés sur ce texte sera déterminée par le sort qui sera réservé à leurs amendements.