Intervention de Frédéric Maillot

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Maillot :

Je vous remercie de m'accueillir dans votre commission. Ce texte sur la discrimination capillaire peut paraître anecdotique, mais à La Réunion, nous sommes à 60 % afro-descendants et, bien que la France ait tenté à maintes reprises de nous couper de l'Afrique, nos cheveux, nos nez, nos lèvres sont là pour nous dire que nous sommes afro-descendants. Bon nombre de mes frères et de mes sœurs, bon nombre d'hommes et de femmes réunionnais sont discriminés, de façon directe ou indirecte, en raison de leurs cheveux. Parfois même, et il faut avoir le courage de le dire, cette discrimination commence dans nos familles. Ce sont nos mères, ce sont nos pères qui nous disent : « Tu ne peux pas te présenter comme ça, tu ne peux pas aller dans la rue avec des cheveux en mode afro, il faut tirer dessus. » Traditionnellement, c'était à l'occasion de leur première communion que les femmes se faisaient lisser les cheveux, avec toute la violence que cela implique. Puis, après la famille, vient la discrimination dans la société et le monde professionnel.

L'une de mes collaboratrices m'a expliqué que, alors qu'elle était sur le point d'être embauchée pour vendre des sous-vêtements, l'employeur lui a dit qu'il faudrait qu'elle lisse ses cheveux, parce que la coupe afro et les sous-vêtements ne font pas bon ménage. Je veux évoquer aussi cette miss météo qui, lorsqu'elle a commencé à l'âge de 18 ans, a accepté de se lisser les cheveux, par faiblesse et à cause de son jeune âge, et qui, maintenant qu'elle est devenue une animatrice vedette à La Réunion, assume pleinement sa coupe afro. Dire que ce texte est inutile et qu'il ne concerne pas les Français est tout à fait faux, car les deux personnes que je viens de mentionner sont des Françaises qui ont subi une discrimination du fait de leurs cheveux.

La France peut interdire à des femmes de porter l'abaya ou le voile, mais elle ne pourra pas nous obliger à nous fondre dans un moule européanisé en cachant ou en défrisant nos cheveux. Ma collègue Fanta Berete a évoqué de bien belle manière l'émission de télévision au cours de laquelle Stéfi Celma s'est fait agresser, et je comptais moi aussi en parler. Même si c'était sous le couvert de l'humour, elle a bel et bien été agressée : elle a tenté de se défendre, on la voit reculer dans son fauteuil et chercher un soutien auprès du public.

À La Réunion, ce texte est accueilli comme un soulagement, comme une reconnaissance. Les gens se disent qu'on les prend enfin en considération, que l'on prend enfin en compte cette discrimination qu'ils ont du mal à faire valoir. Le hashtag #défrisetonmomon vient d'apparaître – cela signifie « défrise ta mère ». C'est une façon de dire que nous assumons pleinement notre identité, qui passe aussi par nos cheveux.

J'aimerais, pour conclure, évoquer ces femmes qui ont assumé l'afro avant que l'afro devienne la mode : je pense évidemment à Angela Davis, qui est une grande figure de la lutte pour la reconnaissance de la femme noire, à Christiane Taubira qui, malgré les quolibets, n'a jamais cédé et a décidé de tresser ses cheveux, plutôt que de les lisser. Cela aussi, c'est un héritage de l'esclavage. Je pense encore à Bellinda Justine et à Katy Toave.

Monsieur le rapporteur, vous pouvez compter sur moi pour défendre bec et ongles ce texte, pour ouvrir enfin une nouvelle hair.

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