Intervention de Sabrina Sebaihi

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi :

« À l'école ou au parc, les enfants se moquent de moi. Ils disent qu'ils sont gros comme des coussins, noirs comme du charbon et secs comme du sable. » Dans le livre pour enfants Comme un million de papillons noirs, Laura Nsafou fait parler Adé, une petite fille noire complexée par ses cheveux, du fait du harcèlement scolaire dont elle fait l'objet. Cheveux « frisés », « crépus », « de rebeu », « typiquement noirs », ces qualificatifs qui relèvent d'une mécanique raciste et sexiste n'ont qu'un seul but : faire des cheveux lisses, et si possible blonds, la norme dans une vision fantasmée d'un idéal de beauté occidentale.

La discrimination est protéiforme : elle peut concerner la race, le sexe et l'orientation sexuelle, mais aussi le physique et l'ensemble de ses caractéristiques, comme les cheveux. Si vous n'êtes pas de cet avis, peut-être n'avez-vous jamais été traité de mouton, de caniche ou de serpillière dans la cour de récréation. Peut-être n'avez-vous jamais passé des heures à vous lisser les cheveux, craignant que votre coupe ne vous prive d'un poste, d'une augmentation, ou encore de votre travail. Peut-être n'avez-vous jamais dépensé des centaines d'euros en perruques ou en produits défrisants, allant jusqu'à vous brûler le crâne à cause des additifs et des mélanges chimiques. Peut-être n'avez-vous jamais détruit votre cuir chevelu, à force de vous donner des coups de peigne et de brosse pour « dompter » vos cheveux, comme on dit, comme s'il s'agissait d'animaux sauvages – un énième cliché raciste. Peut-être enfin ne connaissez-vous pas l'histoire : à l'époque de l'esclavage et de la colonisation, les femmes claires de peau et aux cheveux lisses étaient les seules à pouvoir quitter les champs pour travailler dans les maisons.

L'exposé des motifs de cette proposition de loi rappelle qu'un steward d'Air France a été licencié parce qu'il portait des tresses – un licenciement scandaleux, qui montre combien cette proposition de loi est nécessaire. Il rappelle aussi que les cheveux des femmes afro-descendantes sont 2,5 fois plus susceptibles d'être perçus comme non professionnels et que même Michelle Obama s'est sentie obligée de se lisser les cheveux, pendant les huit années où elle était première dame. Il ne fait pas de doute que la discrimination capillaire joue un rôle direct dans le rapport au travail, au moment de l'embauche comme au cours de la carrière.

À bien des égards, le cheveu lisse reste la norme dans notre pays, et je remercie les femmes afro-descendantes et maghrébines qui, depuis des années, se sont engagées sur cette question. Sans elles, nous ne pourrions même pas avoir ce débat. Ceux qui tentent de jeter le discrédit sur ce texte ne font qu'aggraver le repli des personnes qui voient leur identité bafouée et moquée dès lors qu'elles essaient de la défendre. J'irai même plus loin : cette attitude amplifie la négation du racisme en France. La chroniqueuse Emmanuelle Ducros a osé dire que nous étions « à un cheveu du ridicule » avec cette proposition de loi. Quand on sait que 66 % des femmes noires changent leur coiffure pour passer un entretien d'embauche, on peut se faire une idée de la taille du cheveu en question.

Ce matin encore, certains de nos collègues tentent de dénigrer ce texte. Je note que ceux qui le font ne sont pas concernés par cette discrimination. Il se peut que ce texte ne vous intéresse pas, mais sachez que son examen est un soulagement pour beaucoup de gens. La France est loin d'être le premier pays à soulever cette question. Elle est même, une fois encore, bien en retard, puisque la Chambre des représentants américaine a adopté en 2022 le CROWN Act, visant à créer un environnement respectueux et ouvert pour les cheveux naturels, et qui interdit ainsi la discrimination capillaire dans les lieux publics, les entreprises et les écoles.

Ce texte permet à la fois de protéger les personnes qui souffrent de discrimination capillaire, en donnant un cadre juridique précis et adapté à celle-ci, de réaffirmer le principe d'égalité dans notre République et de dire à toutes ces personnes : « Vos cheveux sont une fierté, vous êtes une fierté ». Le groupe Écologiste votera pour cette proposition de loi.

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