Intervention de Fatiha Keloua Hachi

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFatiha Keloua Hachi :

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour. Certains de nos collègues l'ont traitée avec mépris, alors qu'elle devrait toutes et tous nous mettre d'accord, puisqu'elle concerne la lutte contre les discriminations sous toutes leurs formes, en particulier dans le monde du travail.

D'aucuns estiment que ce débat a été importé des États-Unis et qu'il n'a pas sa place dans notre République, où l'universalisme voudrait que l'on ne voie ni les couleurs, ni les formes, ni les races, ni les cheveux. Et pourtant, ce texte vient questionner une réalité sociale qui n'est pas étrangère à la France : celle de la norme physique dominante, celle de sa construction et surtout de sa déconstruction. Oui, les cheveux sont politiques : symboles de libération, mais aussi moyen d'oppression ; objets de fantasme, mais aussi de discrimination.

La discrimination capillaire est une réalité. C'est d'abord une discrimination physique, reflet de stéréotypes ancrés dans la psyché collective ; c'est une violence qui a des conséquences concrètes sur la carrière professionnelle de ceux d'entre nous qui la subissent. Mais elle dépasse la simple question esthétique et relève souvent d'une discrimination raciale, totalement banalisée et cachée derrière une norme esthétique. Parce que ce point me paraît très important, j'ai déposé un amendement qui tend à préciser que la discrimination capillaire peut être le reflet d'une discrimination fondée sur les origines.

Le cheveu crépu ou frisé cristallise la violence symbolique et physique qu'engendre la pression sociale qui pousse à se conformer à une norme. Dans notre société occidentale où le cheveu lisse est la norme, symbole d'ordre, d'organisation et d'entretien, le cheveu bouclé, crépu, frisé dérange. Cela renvoie à un imaginaire, à des représentations racialisées négatives, venues de loin dans notre histoire, et qui se retrouvent jusque dans la langue. En anglais, on parle de bad hair ; en espagnol, de pelo malo, c'est-à-dire de mauvais cheveux.

Les sciences sociales ont démontré que les standards de beauté sont racialisés et qu'ils prolongent des représentations issues de l'histoire coloniale et de l'esclavage. D'après l'anthropologue Ary Gordien, « en Afrique, en Europe et aux Amériques, le passé colonial explique que la norme européenne du cheveu lisse se soit imposée comme critère de beauté ». Il est temps de reconnaître que la discrimination capillaire est une réalité quotidienne, une pression sociale qui pousse les individus à conformer leurs cheveux à des normes arbitraires et oppressives. Ces normes sont oppressives quand elles obligent des millions de femmes à dépenser des centaines d'euros dans des produits de défrisage toxiques, dangereux pour la santé, qui augmentent sensiblement, par exemple, le risque de cancer de l'utérus.

L'universel n'est pas un totem derrière lequel la République doit se cacher au point de devenir aveugle aux normes dominantes qui excluent et discriminent. Au contraire, c'est au nom de l'idéal républicain que nous devons traiter cette question. Il est grand temps que la lutte contre les discriminations devienne une question transversale. Ce n'est pas aux cheveux de se conformer à la norme sociale, mais à la société de se conformer à la réalité de chacun.

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