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Intervention de Jean-Philippe Tanguy

Réunion du mercredi 13 mars 2024 à 14h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Tanguy :

En tant qu'ancien président de la commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, je remercie la commission des lois de m'accueillir.

Chaque fois qu'au sein du Rassemblement national, nous réfléchissons à ces ingérences, il me vient cette phrase de La Chanson de Roland : « Tel qui trahit se perd, et les autres avec lui. » C'est dire si, en France, le risque de trahison est une phobie, justifiée par les tristes illustrations de ce risque qui émaillent notre histoire. Il s'illustre aussi dans les accusations infondées. La trahison et les ingérences sont évidemment un poison pour notre pays, mais la suspicion infondée d'ingérence, l'accusation infondée de trahison sont aussi un poison pour la démocratie, qui doit se prémunir de ces deux dangers.

Si la chute de l'URSS avait pu faire espérer à certaines forces politiques naïves que la fin de la tragédie de l'histoire pouvait survenir et qu'une période de paix universelle s'ouvrait devant nous, il n'en a jamais rien été. La famille souverainiste, que représente le Rassemblement national, n'a jamais été naïve. Nous savions que la fragile paix entre les grandes puissances n'avait rien de définitif et que les États-Unis poursuivraient leur politique de puissance, y compris au détriment des intérêts de leurs propres alliés. Pire encore, nous savions que les régimes autoritaires, comme la Russie, ou les dictatures, comme la Chine et les pays du Golfe, useraient de toutes les méthodes imaginables pour promouvoir leurs intérêts, souvent, pour ne pas dire toujours, contre les nôtres.

Hélas ! les gouvernements successifs ont désarmé nos services de renseignement comme ils ont désarmé notre défense. Ces deux désarmements irresponsables, même suicidaires, étaient nourris de la même corruption des esprits, et parfois de corruption matérielle. À ce sujet, comme à tant d'autres, la macronie feint de se réveiller, mais elle ne fait pas semblant de manipuler la démocratie. Il aura fallu que quatre-vingt-huit députés du Rassemblement national siègent à l'Assemblée nationale pour que vous agissiez. Depuis 2014, tous les socialistes, Emmanuel Macron en tête, criaient déjà aux ingérences étrangères, mais ne faisaient rien, et pour cause : certains en étaient les agents – que l'on pense à Alstom, à Technip ou à Alcatel. Depuis 2017, vous criez au loup, mais vous n'avez créé aucune commission d'enquête, ni pris de dispositions d'une ampleur semblable à celle des risques que vous dénonciez.

Le texte que vous proposez est creux et multiplie les impasses. C'est une loi lilliputienne contre les géants qui nous attaquent de toutes parts. Vous ne prévoyez même pas de délit pour punir les ingérences étrangères et les Français qui trahissent, alors que la commission d'enquête a montré la nécessité de le faire – en l'état, le code pénal ne comporte guère d'article pouvant s'appliquer à la zone grise que constituent toutes les formes d'ingérence.

Vous ne prévoyez rien non plus contre la corruption, ni contre les conflits d'intérêts. Pourtant la commission d'enquête a mis en lumière leur gravité et leur progression. Vous avez censuré notre amendement pour empêcher que certains hommes politiques ne soient mis devant leurs responsabilités : par exemple, Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, qui reçoit ouvertement de l'argent du Qatar et de la Russie ; Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre ; d'anciens parlementaires macronistes, tel Buon Tan ; Hubert Julien-Laferrière, parlementaire en exercice ; Jean-Marie Le Guen, membre du conseil d'administration de Huawei, qui travaille à ce titre directement pour une puissance étrangère.

La faiblesse de votre texte ne fait que traduire la manipulation malsaine à laquelle vous vous livrez sans cesse s'agissant des ingérences. Votre camp et les partis qui vous ont précédés sont si coupables que vous salissez le seul parti innocent : le Rassemblement national.

Alors chiche ! Vous voulez proposer une loi sur les ingérences ? Faisons-la ! Luttons vraiment contre la corruption, avec des dispositions solides et pas vos minuscules propositions. Donnez aux services de renseignement, aux institutions comme la HATVP, à la justice et aux enquêteurs les moyens de travailler.

Étonnamment, votre texte ne reprend pas toutes les dispositions recommandées dans le rapport rédigé par Constance Le Grip au nom de la commission d'enquête sur les ingérences étrangères – par exemple, celle qui consiste à faire de la lutte contre la corruption une mission centralisée sous la direction du Premier ministre. Nous déposerons un nouvel amendement en ce sens.

Nous verrons, dans la discussion des amendements proposés par le Rassemblement national, si vous voulez vraiment lutter contre les ingérences. J'en doute, mais cette fois votre hypocrisie sera publique.

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