La lutte contre les ingérences étrangères est à nos yeux importante et décisive. Il faut prendre des mesures d'urgence, à l'approche des Jeux olympiques et dans un moment d'instabilité prononcée en Europe et dans le monde. De l'affaire Pegasus aux kompromats russes, toutes les ingérences étrangères ont pour but de déstabiliser nos démocraties, déjà fort fragilisées, et notre vie politique. Elles peuvent mettre en danger les citoyens et les citoyennes. Il en va ainsi de la campagne de désinformation russe Doppelgänger, à l'origine des tags représentant l'étoile de David dans les rues de Paris et de sa proche banlieue.
L'article 1er de la proposition de loi vise à créer un nouveau registre des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d'une puissance étrangère. En vue d'une efficacité et d'une visibilité plus grande, l'ONG Transparency International préconise plutôt une extension du répertoire des représentants d'intérêts déjà existant. Contrairement à une idée avancée dans le rapport de la DPR, ce répertoire, tenu par la HATVP, ne prend pas uniquement en compte les actions de lobbying économique. En 2016, en effet, le législateur a choisi de ne pas distinguer intérêts matériels et immatériels, et ce répertoire peut tout à fait enregistrer l'action de représentation d'intérêts des autorités publiques étrangères. Étendu, il pourrait constituer un formidable outil de prévention des ingérences étrangères. L'adoption de la proposition de loi des députés Cécile Untermaier et Gilles Le Gendre sur la transparence du lobbying le rendrait d'autant plus efficace. Cette proposition préconise notamment d'étendre la définition des représentants d'intérêts, de préciser les informations consignées dans le registre, ou encore d'augmenter la fréquence des déclarations.
L'article 3 permet aux services de renseignement de recourir à la technique de l'algorithme, uniquement autorisée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cet article, qui fera sans doute l'objet de la majorité des débats, propose à nos yeux bien trop peu de garanties de protection des droits et libertés fondamentaux. Quels seront les biais algorithmiques de cet outil ? Qui exactement en aura l'usage ? Ce sont là des questions auxquelles la commission des lois est habituée, mais il faut pouvoir les creuser. L'article prévoit en outre de recourir à cette technique à des fins de prévention des ingérences étrangères, ce qui constitue un motif beaucoup trop large.
Nous savons combien l'utilisation de dispositifs exceptionnels sans contre-pouvoir peut porter atteinte à nos libertés fondamentales. Ces dernières années, nous sommes allés beaucoup trop loin en la matière : les dérives constatées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ont été largement documentées, notamment par le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), ce qui devrait éclairer nos débats.
Il nous semble que la prévention des ingérences étrangères doit se faire dans le cadre du droit commun applicable à tous les types d'influence sur l'action publique. Certains régimes autocratiques et quelques démocraties illibérales profitent de cette lutte légitime pour museler l'opposition politique et pénaliser avant tout la société civile et les contre-pouvoirs. Si nous tenons tant à ces principes, c'est parce qu'ils nous tiennent debout, et non parce qu'ils font joli sur un papier.