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Intervention de Philippe Latombe

Réunion du mercredi 13 mars 2024 à 14h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Latombe :

Une ingérence étrangère est l'immixtion d'un État dans les affaires d'un autre État. Elle présente un caractère malveillant, toxique, voire délictueux, car elle vise à déstabiliser et à décrédibiliser des acteurs, à saper la confiance dans les institutions d'un pays, à inciter à la haine et au harcèlement en ligne, à engendrer la confusion entre le vrai et le faux, et à servir les intérêts d'une puissance étrangère. De telles ingérences peuvent compter parmi les actes d'une guerre hybride.

Le statut de grande puissance politique, militaire, économique, scientifique, culturelle et démocratique de la France l'expose à des agressions ou à des tentatives de déstabilisation protéiformes émanant de l'étranger. De plus, la France accueille de nombreuses communautés étrangères, diasporas ou opposants politiques. Certains pays considèrent que cela nuit à leurs intérêts et surveillent ces communautés, allant parfois jusqu'à se livrer à des pressions et à des intimidations.

Les ingérences étrangères dans les campagnes électorales de 2017 et de 2022 ont poussé la France à renforcer son arsenal juridique et opérationnel. En particulier, la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information oblige les plateformes à signaler les contenus sponsorisés et crée une action judiciaire en référé pour faire cesser rapidement la circulation de fausses informations ayant vocation à troubler la paix publique ou la sincérité d'un scrutin.

Mais cela n'est pas suffisant. Bien que 5 milliards d'euros supplémentaires aient été consacrés au renseignement dans la dernière loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, les outils de lutte contre les ingérences étrangères demeurent insuffisants au regard de l'intensification de la menace. Dans le rapport qu'elle a rendu en 2023, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) constate que la France a longtemps fait preuve d'une certaine naïveté, due à la méconnaissance du danger, et formule un ensemble de propositions visant à renforcer notre dispositif de prévention et d'entrave aux ingérences étrangères et aux tentatives de s'y livrer, dont la présente proposition, telle que déposée initialement, est la traduction législative. Le groupe Démocrate s'en félicite.

Les États-Unis disposent depuis 1938 d'un registre séparé répertoriant les représentants d'intérêts travaillant pour le compte d'un mandant étranger dans le but de mener des actions politiques aux États-Unis ou d'influencer un fonctionnaire ou le public américain. Ce dispositif, appelé Fara (Foreign Agents Registration Act), permet au FBI (Federal Bureau of Investigation) de mener des enquêtes et d'envoyer des notifications d'obligation d'inscription aux personnes concernées. L'article 1er de la proposition de loi propose de créer un registre répertoriant les acteurs qui influent sur la vie publique française pour le compte d'une puissance étrangère, sur le modèle du répertoire français des représentants d'intérêts, et de la législation en vigueur aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cela nous semble nécessaire, et la réécriture de cet article par l'amendement CL39 du rapporteur nous convient.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit que le Gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport sur l'état des menaces pesant sur la sécurité nationale, en particulier de celles qui résultent d'ingérences étrangères, ce rapport pouvant faire l'objet d'un débat. Notre groupe souhaite, contrairement au rapporteur, que ce rapport demeure annuel, car les parlementaires, en démocratie, doivent pouvoir s'appuyer sur des éléments d'information aussi actuels que possible pour éclairer leurs décisions. Cette transparence est ce qui nous distingue favorablement des dictatures et des régimes autoritaires.

L'article 3 du texte propose une expérimentation de trois ans visant à élargir les finalités pour lesquelles les services de renseignement sont autorisés à recourir à la technique dite de l'algorithme. Actuellement, celle-ci ne peut être utilisée que pour prévenir le terrorisme, la finalité 4. L'élargissement la mettrait également au service de la défense et de la promotion de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et de la défense nationale, la finalité 1, ainsi que les intérêts majeurs de la politique étrangère, l'exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère, la finalité 2. Cet élargissement est sans doute la mesure la plus clivante du texte. Selon notre groupe, il ne saurait être qu'expérimental et limité à trois années, et il devra faire l'objet d'un bilan documenté après la conclusion de l'expérimentation. Sa pérennisation ou son renouvellement ne pourront avoir lieu qu'à l'issue de ce bilan, et par la loi.

De même, avoir voulu faire entrer de plain-pied la loi Godfrain dans ce texte sans étude d'impact, ni avis préalable du Conseil d'État suscite notre vive perplexité. Nous aurions voté contre cette extension par amendement.

Enfin, le dispositif des boîtes noires, au vu de son caractère très intrusif, doit nécessairement faire l'objet d'un avis formel de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), d'où l'amendement déposé par notre groupe en ce sens.

Nonobstant ces réserves, notamment s'agissant de l'article 3, le groupe Démocrate votera en faveur du texte.

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