Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 19 mars 2024 à 21h30
Lutte contre les dérives sectaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

La nécessité de lutter contre les dérives sectaires faisait initialement l'objet d'un accord unanime : qui aurait pu s'y opposer ? Ces dérives sont en effet de plus en plus nombreuses et touchent de nouveaux domaines tels que la santé, l'alimentation, le bien-être ou encore le développement personnel. Elles se diffusent toujours plus vite et toujours plus facilement, notamment par le biais des réseaux sociaux. Bref, il faut agir.

Dans ces conditions, pourquoi examinons-nous le texte en nouvelle lecture après avoir échoué à trouver un accord ? C'est probablement parce que le projet de loi initial se concentrait essentiellement sur la réponse pénale, sans aborder les actions de prévention pourtant indispensables dans ce domaine. C'est probablement aussi parce qu'il ne visait pas à renforcer les moyens de la justice, notamment ceux des enquêteurs spécialisés. Toutefois, la cause principale de ce désaccord est sûrement l'article 4, qui tend à créer un nouveau délit constitué par la provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins, lorsque celle-ci peut entraîner des conséquences graves pour la santé des malades, au point de les exposer à un risque immédiat de mort ou de blessures.

L'objectif de l'article est bien sûr noble, mais sa rédaction initiale en faisait un remède pire que le mal, comme l'a souligné le Conseil d'État. Dès lors, il a été supprimé par le Sénat, puis par l'Assemblée nationale en séance publique. Ne voulant rien entendre, vous nous avez imposé une seconde délibération. C'est alors à la sauvette qu'un nouvel article 4 est apparu, et c'est à la sauvette qu'il nous a fallu le sous-amender pour tenter de tirer les leçons des avertissements du Conseil d'État. Cela n'a pas suffi : vous avez refusé nos propositions et aucun accord n'a pu être trouvé en CMP.

Reprenons. Cet article permet de poursuivre et de réprimer les provocations à l'abandon de soins et à l'adoption de fausses pratiques thérapeutiques, qui mettent en danger la vie des personnes. Cela ne devrait pas poser de problème ; et pourtant !

La lutte contre les dérives sectaires ne doit en aucun cas nous conduire à condamner d'avance les pratiques dites non conventionnelles ou à entraver la liberté d'accepter ou de refuser un traitement médical, liberté « essentielle à la maîtrise de son propre destin », comme l'a rappelé la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans son arrêt 302/02 du 10 juin 2010. Il nous faut donc absolument protéger les victimes de ces dérives, mais également les praticiens honnêtes, tout en sanctionnant plus efficacement les personnes mal intentionnées.

Dans son avis du 9 novembre 2023, le Conseil d'État s'inquiétait déjà – inquiétude que je partage – des dangers que poserait l'article 4 pour l'équilibre entre la protection de la santé et la liberté des débats scientifiques. Il jugeait le risque trop grand que des soins dits non conventionnels ne puissent plus être promus, ce qui porterait nécessairement une atteinte disproportionnée à la liberté d'opinion et d'expression.

Lors de la seconde délibération, vous avez certes revu la rédaction de l'article – c'est tant mieux –, en précisant notamment que le délit n'est pas constitué « lorsque la provocation s'accompagne d'une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé et que les conditions dans lesquelles cette provocation a été faite ne remettent pas en cause la volonté libre et éclairée de la personne ». Par ailleurs, vous avez mentionné qu'une personne « placée ou maintenue dans un état de sujétion » ne peut être concernée par cette dérogation, car elle ne peut pas, par définition, consentir de manière libre et éclairée à des manœuvres destinées à la détourner des soins.

Il reste néanmoins quelques progrès à faire. La prudence devrait prévaloir lorsqu'on touche à la liberté d'expression et à la liberté de conscience. Ainsi, le cas des lanceurs d'alerte a suscité des inquiétudes dès le dépôt du texte : comment éviter de condamner sur le fondement de l'article 4 quelqu'un dont on s'apercevra, quelques années plus tard, qu'il était en réalité un lanceur d'alerte ? Cette question n'étant pas tranchée, je ne pourrai pas voter l'article 4 en l'état.

Je le répète, face à l'ampleur du phénomène, il est plus que regrettable que nous n'ayons pu nous mettre d'accord sur ce point. C'est vraiment dommage !

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