En application de l'article 140 de notre règlement, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente. Il appartient donc, en la matière, à la commission des affaires économiques de se prononcer.
Je m'en tiendrai à des aspects strictement procéduraux. En effet, la présidente du groupe Rassemblement national a indiqué qu'elle souhaitait que soient appliquées les dispositions de l'article 141, alinéa 2, du règlement, aux termes desquelles chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire et à l'exception de celle précédant le renouvellement de l'Assemblée nationale, la création d'une commission d'enquête. Dans le cadre de ce « droit de tirage », la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions procédurales requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité. Si notre commission estime que ces conditions sont réunies, la conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d'enquête. Ces conditions sont au nombre de trois.
Tout d'abord, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit que les commissions d'enquête sont formées « pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est reprise à l'article 137 du règlement, qui dispose que les commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. »
Dans le cas présent, l'article unique de la proposition de résolution tend à créer une commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la France.
Considérant que la place de la France dans les exportations agricoles mondiales aurait reculé au cours des dernières décennies, les députés du Rassemblement national s'inquiètent de la perte de souveraineté qui en résulterait pour notre pays, dans un contexte où les capacités exportatrices seraient devenues, au-delà de leur seule dimension économique, un vecteur majeur d'influence politique et stratégique.
Nos collègues imputent cette perte de souveraineté à une perte de compétitivité globale de l'appareil productif français, résultant, en premier lieu, d'un empilement de normes « toujours plus nombreuses et contraignantes, souvent inapplicables et contradictoires ». Ils déplorent l'accumulation des réglementations européennes applicables en matière d'agriculture et d'environnement. Le durcissement de l'encadrement des activités agricoles résulterait aussi pour partie de décisions nationales, avec les plans « Écophyto », « Eau » ou « Milieux humides » ou encore la réglementation applicable aux zones de non-traitement. Les auteurs de la proposition de résolution dénoncent ce qu'ils appellent une « surtransposition des directives communautaires » et des décisions récentes de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, notamment en ce qui concerne les contraintes d'emploi et l'interdiction de certains produits phytopharmaceutiques.
Au regard de la crise que traverse aujourd'hui le monde agricole et du rôle joué par de nombreux acteurs publics dans les régulations et les politiques qu'elle vise, les objectifs de la commission d'enquête paraissent décrits avec une précision convenable. Le premier critère est donc respecté.
En second lieu, l'article 138 du règlement de notre assemblée prévoit l'irrecevabilité de toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête qui aurait « le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre. » La proposition de résolution respecte ce deuxième critère de recevabilité.
Enfin, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 dispose qu'il ne peut être créé de commission d'enquête « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Interrogé le 25 mai 2023 par la présidente de l'Assemblée nationale, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir par une lettre en date du 19 juin qu'à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n'était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution. Le troisième critère de recevabilité est donc respecté.
Par conséquent, la création de cette commission d'enquête ne me paraît se heurter à aucun obstacle d'ordre juridique.