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Intervention de Éric Martineau

Séance en hémicycle du mercredi 6 mars 2024 à 22h00
Réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Martineau :

Ce printemps, je me rendrai au mariage de Maxime et Joseph, deux jeunes agriculteurs, en Sarthe. Mais que de chemin parcouru ! Il aura fallu attendre 1982 et la loi Forni pour que l'homosexualité soit dépénalisée en France. En 1982, j'avais 14 ans et je ne pensais pas qu'un jour, je pourrais vivre heureux – comme on ne choisit pas d'être hétérosexuel, on ne choisit pas d'être homosexuel. Mais avant cette date, combien de vies brisées ?

Le 6 août 1942, le régime de Vichy modifie l'article 334 du code pénal pour introduire une distinction discriminatoire entre les hétérosexuels et les homosexuels. Cette modification législative sert alors de base juridique pour la répression policière et judiciaire des personnes homosexuelles ; elle donne lieu à la constitution de fichiers de police, à des condamnations judiciaires et à des dénonciations aux forces d'occupation ennemies. Les condamnations sont publiées dans les journaux, entraînant un véritable opprobre social et s'accompagnant de licenciements abusifs, de vies sociales ruinées, de déshonneur pour les familles voire du suicide de certains.

Alors que la plupart des lois du régime de Pétain sont abrogées à la Libération, celle du 6 août 1942 est maintenue et confirmée par l'ordonnance du 8 février 1945. Pire, l'ordonnance du 25 novembre 1960, prise sous le gouvernement Debré, confirme la répression de l'homosexualité en la considérant comme un fléau pour la société et en doublant les peines encourues. La pénalisation de l'homosexualité perdure alors avec une circonstance aggravante à l'outrage public à la pudeur, la pénalisation de quiconque aura commis un acte impudique ou « contre-nature » et des peines encourues allant de six mois à trois ans d'emprisonnement et de 60 à 15 000 francs d'amende.

Près de 10 000 personnes ont été condamnées du fait de leur homosexualité entre 1945 et 1982. Durant cette période, 50 000 personnes auraient également été condamnées pour outrage public à la pudeur homosexuel. Et jusqu'en 1978, 93 % des procès liés à ces infractions se sont soldés par des condamnations à des peines de prison.

La législation a heureusement évolué, grâce à la mobilisation d'intellectuels comme Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Marguerite Duras, à qui nous devons rendre hommage, et à celle des associations et de tous ces militants anonymes qui se sont battus pour l'égalité des droits. La disposition relative à l'outrage public à la pudeur homosexuel est ainsi abrogée le 19 novembre 1980. En 1981, toutes les personnes condamnées pour homosexualité sur la base des articles 330 et 331 du code pénal sont amnistiées par François Mitterrand. Même si le Sénat s'y oppose, l'Assemblée nationale a le dernier mot le 27 juillet 1982, et la loi du 4 août 1982, dite loi Forni, abroge quarante années de répression contre l'homosexualité. C'était nécessaire. La France n'a cependant pas encore admis sa responsabilité dans les discriminations et les condamnations subies par les personnes homosexuelles. Nous devons y remédier, et c'est le sens de ce texte.

Je suis honoré d'être le porte-parole du groupe Démocrate, humaniste et libre. En commission, il a soutenu l'initiative du groupe Renaissance visant à élargir le champ de la proposition de loi afin de prendre en compte les discriminations subies par les personnes homosexuelles à partir de 1942, et non plus 1945. S'il nous semble très important de bien distinguer le régime de Vichy et la République française, il est essentiel de reconnaître l'ensemble des persécutions endurées par un groupe de personnes du fait de leur orientation sexuelle, causées par une loi pénale discriminatoire.

L'objet de la présente proposition de loi est bien la reconnaissance de la responsabilité morale de l'État. Nous considérons que celle-ci ne doit pas devenir un sujet financier. S'il est nécessaire que la France reconnaisse solennellement le préjudice subi par les personnes concernées, comme l'ont fait la plupart des États, le mécanisme de réparation financière apparaît compliqué à instaurer, et les doutes quant à la sécurité juridique et à la soutenabilité financière du dispositif ont déjà été soulevés par les sénateurs. Nous nous abstiendrons donc sur ce point.

Chers collègues, en votant cette loi de réparation, nous faisons un pas en faveur de la construction de la mémoire des personnes homosexuelles discriminées. Mais nous envoyons également un message fort hors de nos frontières et dans le monde : nul ne devrait subir de persécutions en raison de son orientation sexuelle. Le groupe Démocrate est donc favorable à la proposition de loi.

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