Cette loi de 1942 répond en son temps à des demandes émanant de magistrats, de médecins et de ligues de vertu. Elle est aussi la traduction d'une opinion assez largement répandue : il s'agit de protéger la jeunesse corrompue par les pratiques homosexuelles. Sous l'influence d'une morale chrétienne que le maréchal Pétain instrumentalise à souhait, l'article 334 du code pénal est donc modifié.
C'est le même esprit qui conduit la République, en 1945, à ne pas remettre en cause les dispositions du régime de Vichy. Quinze ans plus tard, en 1960, aucun député ne s'émeut lorsque l'un des leurs, Paul Mirguet, se saisit d'un texte sur les fléaux sociaux pour faire adopter un amendement intégrant l'homosexualité dans la liste de ces fléaux, alors qu'il s'agissait à l'origine de lutter contre l'alcoolisme, la tuberculose et le proxénétisme. Mirguet considère que l'homosexualité manque à la liste et dénonce la gravité de ce fléau contre lequel il faut « protéger nos enfants ». C'est donc sans aucune résistance que l'on décide de doubler les peines encourues par les personnes homosexuelles accusées d'attentat à la pudeur. Si 1945 est dans la continuité de 1942, on constate qu'en 1960, rien n'a changé dans l'approche de la question.
Pour rester dans le registre des permanences de l'histoire, permettez-moi de rappeler que le Sénat s'est opposé en son temps aux trois lectures successives de la proposition de loi Forni-Halimi. En s'opposant assez largement à celle du sénateur Bourgi en 2023, il a perpétué sa tradition conservatrice. Évidemment, je le regrette : on ne peut reléguer aux oubliettes de l'histoire une réalité tellement récente qu'elle demeure toujours le terreau sur lequel prospèrent des crimes et délits anti-LGBT, en progression dans notre pays.
Alors oui, la France a cru bon de définir ce que devaient être les normes de la vie dans ce qu'elle a de plus intime, selon que l'on soit hétérosexuel ou homosexuel. Oui, la France a créé une catégorie de sous-citoyens qui devaient répondre plus que les autres de leurs actes délictuels, au seul motif qu'ils étaient homosexuels. Oui, sous couvert d'arguments faussement politiques, la France a parfois édicté la loi sur la base de jugements moraux iniques, au mépris des principes fondamentaux affirmant l'égalité de tous.
Derrière ces atteintes graves portées aux valeurs de la République, se trouvent des vies humaines qui ont été malmenées, parfois brisées et toujours marquées par des condamnations les exposant au jugement, à l'humiliation publique et à la mise à l'écart. Il ne s'agit donc pas tant de reconnaître les errements du passé que de dire officiellement que la France mesure le préjudice qu'ils ont causé.
Mes chers collègues, un grand pays de liberté comme le nôtre ne doit jamais tenir ses conquêtes pour acquises. Et s'il veut les défendre, son devoir est de se tenir debout face à l'histoire pour reconnaître le tort indicible qu'il a pu causer en sacrifiant le droit sur l'autel de la morale.