Malgré les orientations politiques très différentes de Rodrigo Arenas et moi-même, nous avons travaillé dans un esprit constructif, en cherchant au maximum à trouver des points de convergence, et en respectant aussi les points de divergence que nous pouvions avoir. Ceux qui ont lu le rapport de façon extensive verront que nous formulons parfois des avis qui sont plus personnels.
La question à l'origine de ce rapport est simple : l'Europe est-elle souveraine sur le plan alimentaire ? La crise sanitaire, en 2020, et la guerre en Ukraine en 2022 avaient fait vaciller plusieurs certitudes à ce sujet. Une crainte revenait : et si l'Europe venait un jour à manquer de nourriture ? L'actualité récente, marquée par des mouvements sociaux d'agriculteurs dans plusieurs pays européens, y compris en France, depuis l'hiver 2023-2024, confirme que l'agriculture reste un enjeu éminemment politique. Il mérite une attention particulière des responsables politiques, notamment français, car sur la scène agricole mondiale, la France n'est pas n'importe quel pays. La voix agricole française compte beaucoup. Sans être exhaustif sur le contenu du rapport, et pour laisser place au débat, je mettrai seulement quatre points en avant.
Tout d'abord, à la question fondamentale que nous posions – « l'Europe est-elle souveraine en matière alimentaire ? » –, la réponse est oui, globalement oui. L'Europe est en capacité de nourrir ses habitants en quantité et en qualité. C'est une réussite de l'Union européenne, c'est une réussite de la politique agricole commune (PAC) depuis soixante ans. Je veux ainsi tordre le cou aux mensonges qui circulent depuis quelques semaines de la part de certains partis à ce sujet, qui accusent l'Union européenne de tous les maux. Nous pouvons être fiers du fait que la PAC nourrisse les Européens, assure la sécurité alimentaire du continent, et nous donne un levier de puissance considérable à l'exportation. L'Union européenne est la première puissance agricole d'exportation au monde, à hauteur de 180 milliards d'euros d'exportations agroalimentaires en 2020. Nous avons essayé d'objectiver la situation, en travaillant sur la base du taux d'auto-approvisionnement, qui correspond au ratio de la production européenne sur la consommation européenne. Comme tout indicateur, il a ses limites, mais il donne une photographie intuitive. Nous voyons par exemple que l'Union européenne est souveraine sur la viande bovine, la viande de volaille, les œufs, les légumes, le blé, l'orge et les cultures sucrières. L'Union européenne est proche de la souveraineté sur les viandes ovines, les fruits, les pommes de terre, le maïs, le riz et les légumineuses sèches, pour ne s'arrêter qu'à ces cultures. Cette situation globale à l'échelle de l'Union comporte bien sûr des variations d'État à État. Le cas français l'illustre bien, puisque nos résultats sont meilleurs que la moyenne européenne en ce qui concerne la viande bovine, les pommes de terre, les légumineuses sèches, et surtout, pour les grandes cultures, le blé, le maïs et l'orge. En revanche, nous décrochons, et cela s'est beaucoup ressenti dans le débat que nous avons eu cet hiver, dans les secteurs de la viande de volaille, des fruits et légumes. Ce sont des secteurs en grande souffrance.
J'aborderai désormais mon deuxième point, qui est un point d'alerte. La dépendance extérieure de l'Union au titre de l'alimentation des animaux à base de protéines végétales est l'une des grandes faiblesses européennes. La production européenne de graines et tourteaux de soja, de colza et de tournesol est clairement insuffisante. L'autonomie de l'Europe en protéines progresse, mais un effort résolu doit être poursuivi. Nous formulons une recommandation pour que la prochaine Commission et la prochaine PAC renforcent les aides en faveur de la production de protéines végétales. Nous avons besoin d'une véritable stratégie européenne sur les protéines végétales, et je tiens à rajouter que cela avait été l'un des combats de Julien Denormandie lorsqu'il était ministre de l'Agriculture. La France a, sur ce sujet également, pris les devants en Europe.
En troisième lieu, la PAC doit être préservée. Il est de l'intérêt de l'Europe, mais aussi de l'intérêt national de la France d'avoir une PAC à l'échelle européenne. La France est la première puissance agricole du continent et la première bénéficiaire des fonds de la PAC. Ceux qui veulent sortir de la PAC affaibliront l'agriculture française. La PAC est une réussite européenne, même si, comme toutes les politiques publiques, elle a des imperfections et des limites qui doivent sans cesse être corrigées. La crise actuelle montre la souffrance des exploitations de petite taille et de taille intermédiaire, particulièrement en France. L'uniformisation des exploitations à l'échelle du continent n'est pas souhaitable, il faut que la PAC protège mieux la diversité des modèles agricoles dans tous les pays d'Europe, ainsi qu'au sein des pays européens. Il convient d'instituer plus de solidarité entre les grandes et les petites exploitations. Le chiffre est bien connu, mais je le rappelle de nouveau : 20 % des plus gros bénéficiaires de la PAC perçoivent 80 % des aides directes à l'échelon européen, même si ce chiffre est un peu plus tempéré en France. Ces ordres de grandeur démontrent bien que la majorité des fonds de la PAC bénéficient aux plus grandes exploitations. Nous appelons à ce que la prochaine PAC renforce la péréquation, la solidarité et les aides qui favorisent l'emploi en agriculture.
Enfin, l'Europe doit sortir de la naïveté sur la question commerciale. L'agriculture ne peut pas être une monnaie d'échange dans le cadre des accords de libre-échange. Je ne suis pas opposé par principe au libre-échange, mais j'y suis favorable lorsqu'il se fait entre des zones économiques aux standards sociaux et environnementaux comparables. Ainsi, le traité signé avec le Canada a bénéficié au secteur agroalimentaire européen. En revanche, c'est l'inverse dans le cas des négociations avec le Mercosur : les standards sud-américains sont bien inférieurs aux standards européens. Dès lors, l'ouverture de nos marchés aux produits agricoles du Mercosur serait constitutive d'une concurrence déloyale. Nous nous sommes accordés sur ce point avec Rodrigo Arenas. Un tel accord serait un danger pour l'agriculture européenne, l'accord entre Union européenne et le Mercosur n'est donc pas acceptable.