Ce débat, inscrit à l'ordre du jour de notre semaine de contrôle à l'initiative du groupe Les Républicains, porte sur les suites de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, créée à la demande des Républicains à l'automne 2022, époque où nous pressentions déjà qu'une crise énergétique ne tarderait pas à exploser.
J'espère que les résultats de cette commission d'enquête et les discussions que nous aurons cet après-midi nous permettront de continuer à sortir de la caricature dans laquelle le débat sur la stratégie énergétique de notre pays s'est manifestement enfermé ces dernières années. J'en veux pour preuve le « bingo » lancé cet après-midi sur les réseaux sociaux par les plus fins observateurs des questions énergétiques pour déterminer les meilleurs poncifs réservés par notre débat – c'est dire le regard particulièrement critique que nos concitoyens portent sur nos travaux sur ce sujet pourtant important et stratégique.
Cette commission d'enquête menée l'hiver dernier a été pour tous une bonne douche froide : nous nous sommes rendu compte que la stratégie énergétique de notre pays, pourtant essentielle pour assurer son développement et sa souveraineté, était avant tout le fruit de choix politiques purement théoriques – puisque notre capacité à la mettre en pratique n'a jamais été évaluée –, sans réelle vision d'ensemble, pilotage, ni objectifs – ou, du moins, clairement pas celui d'assurer à nos concitoyens une énergie décarbonée, disponible, à un prix accessible.
Permettez-moi néanmoins de me réjouir de l'intérêt que le travail que nous avons mené pendant six mois a suscité chez nos concitoyens : notre commission d'enquête aura été, je crois, l'une des plus suivies et des plus commentées de l'histoire de la V
Elle a d'abord révélé que pendant une bonne décennie, le débat énergétique en France s'est limité à comparer les différentes sources d'énergie décarbonée et à déterminer quelle était la meilleure. Je le regrette, car avant de savoir s'il faut remplacer le nucléaire par des éoliennes ou des panneaux solaires, encore aurait-il fallu s'interroger sur notre capacité à relever le défi de la décarbonation d'une large partie de notre mix énergétique, qui repose, aujourd'hui encore, sur les énergies fossiles. Cette question a hélas été totalement occultée par le dogme antinucléaire.
La commission d'enquête nous a également permis – et je m'en réjouis – de replacer le débat sur la maîtrise des risques et des dépendances, et la souveraineté, au cœur des préoccupations de la représentation nationale, mais aussi de l'exécutif, puisque le terme de « souveraineté », que l'on trouve désormais fréquemment dans les projets de loi, figure également dans l'intitulé de plusieurs ministères du dernier gouvernement. Attention, cependant : à trop l'employer, ce mot pourrait perdre tout son sens. N'oublions pas non plus qu'un mot ne suffit pas à régler un problème : maîtriser nos dépendances est un enjeu important et, s'agissant de l'énergie, nous n'y sommes clairement pas encore parvenus.
Par ailleurs, la commission d'enquête a mis au jour une erreur majeure s'agissant de notre vision à long terme. Pourquoi notre stratégie énergétique de long terme se fonde-t-elle sur les projections établies par le gestionnaire de réseau électrique ? Et après, on se plaint que le débat soit électrocentré ! D'ailleurs, malgré leur mise à jour, les études de Réseau de transport d'électricité (RTE) restent critiquables. En effet, RTE a pris le parti de continuer à fonder toutes ses projections sur des éléments très conjoncturels, puisqu'il table sur une baisse structurelle de notre consommation énergétique – notamment celle de l'industrie – en raison de la crise économique que nous traversons. Aux yeux des Républicains, cette crise ne devrait pourtant pas servir de base à notre stratégie : parce que nous devons rester un pays industriel, nous avons besoin de construire des scénarios qui nous permettent d'augmenter notre capacité de production industrielle souveraine. En outre, un doute important subsiste sur le degré de vulnérabilité du système électrique considéré comme acceptable, en particulier en période de pointes et d'hyperpointes. Si les dernières études détaillent les solutions techniques envisagées, comme la construction de nouveaux moyens thermiques et d'installations de stockage hydroélectrique, rien n'est dit de leur compatibilité et de notre capacité à les construire dans la décennie à venir, puisqu'il s'agit de là de l'horizon envisagé. Or construire des steppes de production de plusieurs gigawatts dans les dix ans me semble tout simplement impossible eu égard aux règles applicables.
Enfin, plusieurs questions se posent s'agissant de la cohérence de nos objectifs de décarbonation. Une en particulier, qui me semble pourtant essentielle, reste à ce jour sans réponse – et je l'ai d'ailleurs posée dans l'avant-propos du rapport d'enquête : la place de la biomasse dans l'équation globale. La décarbonation de notre système énergétique passera pour partie par le recours à la biomasse, mais nous ne disposons toujours d'aucune étude sur la ressource disponible et sur notre capacité à la faire croître. Cette semaine se tient le Salon international de l'agriculture, une activité qui constitue un volet important de la production de biomasse. Avant tout destinée à nourrir la planète, la production agricole devra, à l'avenir, également fournir de la biomasse énergétique. Il est indispensable et urgent de lancer une étude pour déterminer les différentes sources d'énergie – bois, gaz, fioul – et leurs usages, et évaluer notre capacité à faire croître la biomasse dans le respect des priorités en matière d'usage.
Autre sujet : nous aurons certes besoin de tous les types d'énergie, mais pour assurer la robustesse de notre système électrique, il est essentiel de résoudre les difficultés liées à la contemporanéité de la production et de la consommation. Nous devons lier les règles de transaction et les règles de production, afin de s'assurer de pouvoir disposer d'une énergie électrique disponible, à coût compétitif. À cet égard, la question de la responsabilité des énergies renouvelables intermittentes dans le mix se pose : peut-être faudrait-il lier l'autorisation de production ou la connexion au réseau à la possibilité de piloter l'énergie produite ? Je répète qu'il est urgent que nous débattions de l'ampleur des moyens de production nécessaires pour assurer la disponibilité de l'électricité en période de pointe et d'hyperpointe : il y va de la criticité de notre système.
Un mot de la filière nucléaire, puisqu'elle fait l'objet de quelques débats. Je m'étonne, monsieur le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, de la discrétion qui entoure le dernier conseil de politique nucléaire, qui se serait tenu lundi en fin de matinée et dont nous n'avons, depuis, pas entendu parler – mais peut-être ne s'y est-il simplement rien décidé ? Il est pourtant urgent de prendre des décisions s'agissant de la fermeture du cycle du combustible, rendue possible par les réacteurs à neutrons rapides. Il s'agit bien – et j'insiste – d'une question de technologie, et non de taille, comme dans le cas des petits réacteurs modulaires (SMR). Nous devons également débattre urgemment de notre stratégie de sûreté, dont les exigences sont devenues intenables sur le plan industriel, et de la capacité de notre parc électronucléaire à nous fournir l'électricité nécessaire dans les décennies à venir, jusqu'à ce que de nouveaux moyens de production soient disponibles – ce qui pose la question de la montée en puissance du parc existant et de la prolongation de la durée de vie de nos réacteurs au-delà de soixante ans. J'en profite pour rappeler que la loi prévoit toujours la fermeture des quatorze réacteurs nucléaires français – invraisemblable !
Voilà près d'un an que nous avons rendu les conclusions de la commission d'enquête. Nous avons, je pense, laissé au Gouvernement le temps de réfléchir : il est venu le temps d'agir.