Intervention de Philippe Pradal

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Pradal :

Je commence par saluer la qualité du travail de notre rapporteure. Les enjeux de la lutte contre les dérives sectaires touchent à la fois à l'ordre public, et à la santé publique et à la cohésion sociale : il est question d'exploitation de la vulnérabilité, par cynisme, avidité ou stupre, et de dévoiement de la liberté de penser, d'opinion et de croyance, portant atteinte aux droits fondamentaux, à la sécurité et à l'intégrité des personnes. Ce dévoiement peut être difficile à détecter ou à qualifier, car la liberté de pensée et la liberté de conscience sont au cœur de nos valeurs fondamentales. Mais avec les dérives sectaires, une frontière est à coup sûr franchie et elles ont pour les victimes des conséquences physiques ou psychologiques graves.

La loi About-Picard de 2001 a renforcé l'arsenal législatif en réprimant notamment l'abus de faiblesse par sujétion psychologique, dans le respect du pluralisme et de la liberté de conscience. Plus de vingt ans après, les dérives sectaires ont évolué. Aux groupes à prétention religieuse ou spirituelle sont venues s'ajouter une multitude d'entités qui investissent les champs de la santé, de l'alimentation, du bien-être, du développement personnel, du coaching ou de la formation. Des gourous 2.0 autoproclamés diffusent désormais leur doctrine en ligne et fédèrent autour d'eux de véritables communautés, réelles ou virtuelles.

La crise sanitaire, qui a parfois entraîné une crise de confiance envers la science et la parole médicale, a été un catalyseur de ce phénomène : nous assistons à des changements de nature, de modes opératoires et d'ampleur de ces dérives.

L'accroissement préoccupant des saisines de la Miviludes a conduit le Gouvernement à s'emparer de ce phénomène, dont personne n'est préservé. Les premières assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires ont été organisées en mars 2023 ; elles ont servi de socle à l'élaboration d'une stratégie nationale pluriannuelle ambitieuse, visant à prévenir plus activement les risques de dérives sectaires et à renforcer l'accompagnement des victimes. Outre la prévention, il semble indispensable de renforcer notre arsenal législatif afin d'intégrer les nouvelles techniques employées.

Le texte présenté par le Gouvernement contient des dispositions essentielles pour mieux lutter contre les nouvelles formes d'emprise, en particulier en matière de santé, d'accompagnement des victimes dans leurs démarches judiciaires et de répression des praticiens déviants et reconnus comme tels par la justice. Le groupe Horizons regrette que le Sénat en ait supprimé trois articles structurants. Nous soutiendrons le rétablissement des articles 1er et 2, qui visent à créer un nouveau délit de sujétion et à introduire une circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique pour plusieurs crimes ou délits, et ainsi à mieux tenir compte des particularités et des évolutions des dérives sectaires.

En l'état du droit, les dérives sectaires sont en effet sanctionnées comme des abus de faiblesse ; or cette infraction est caractérisée par l'état de vulnérabilité de la victime et la gravité des dommages causés. Il ressort de l'étude d'impact, confirmée par les auditions de notre rapporteure, qu'une certaine confusion entre l'abus de faiblesse « classique » et les abus commis dans un univers sectaire s'est établie chez les praticiens, et cela d'autant plus que les enquêteurs et magistrats ayant à connaître de tels faits n'ont pas toujours rencontré de manipulations de type sectaire auparavant. L'autonomisation de cette infraction apparaît donc nécessaire : il sera possible de réprimer des comportements qui engendrent, par eux-mêmes, des dommages graves pour les personnes, sans qu'il soit besoin d'attendre un abus frauduleux de l'état de la victime.

Le Sénat s'est aussi inquiété de la fragilisation des dispositifs applicables aux violences intrafamiliales que pourrait entraîner la création de cette infraction. Il ressort des auditions que cette nouvelle infraction touche bien les phénomènes sectaires. Ce risque est donc écarté.

L'article 4, ensuite, vise à répondre à un enjeu de santé publique en créant un nouveau délité réprimant la provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins, ou encore à l'adoption de pratiques dont il est manifeste qu'elles exposent la personne visée à un risque grave ou immédiat. Si la rédaction des amendements déposés sur cet article n'est pas encore satisfaisante, il nous faudra tout de même le parfaire d'ici à la séance publique. Nous devrions parvenir à être unanimes sur ce sujet grave.

En parallèle, le Sénat a enrichi le texte, notamment par l'allongement des délais de prescription en cas d'abus de faiblesse à l'encontre d'un mineur et par la création d'une peine complémentaire de bannissement numérique pour les auteurs des délits d'exercice illégal de la médecine ou de pratiques commerciales trompeuses au moyen de supports numériques.

Le groupe Horizons votera en faveur de ce projet, en souhaitant que ses amendements soient adoptés.

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