Intervention de Brigitte Liso

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Liso, rapporteure :

Je suis particulièrement honorée d'être la rapporteure de ce texte, qui traite d'un sujet sur lequel je travaille depuis plus de six ans.

Si les sectes structurées comme l'Ordre du temple solaire ou Aum font aujourd'hui moins parler d'elles, les dérives sectaires n'ont hélas pas disparu, comme l'a montré la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Le nombre de signalements augmente fortement – il a presque doublé entre 2015 et 2021. Surtout, de nouvelles formes de dérives sont apparues, favorisées par la multiplication de petites structures et surtout l'émergence de « gourous 2.0 » qui, en exploitant les réseaux sociaux, propagent leur doctrine et placent des personnes sous leur emprise néfaste. Depuis la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, dite loi About-Picard, les choses ont bien changé. Je précise que nous parlons désormais de « dérives sectaires », et non plus de « sectes ».

Je me réjouis que le Gouvernement ait organisé, dès mars 2023, sous l'impulsion de Sonia Backès, alors secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, des assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires associant tous les acteurs impliqués – institutions, associations, spécialistes, témoins – afin de dresser un constat et d'identifier des moyens d'action. Ces assises, fructueuses, ont abouti à l'ambitieuse stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires 2024-2027, articulée autour de trois axes : l'amélioration de la prévention, l'accentuation de l'accompagnement des victimes, et le renforcement de l'arsenal juridique. Le présent projet de loi met essentiellement en œuvre le troisième de ces axes, mais il aura aussi des effets positifs et opportuns sur l'accompagnement des victimes.

L'article 1er, qui constitue avec l'article 4 le cœur du projet de loi, actualise utilement le délit d'abus de faiblesse introduit il a vingt-trois ans par la loi About-Picard. Il crée une nouvelle incrimination reposant sur l'état de sujétion de la victime, sans exiger d'abus frauduleux, ce qui permet de combler un vide juridique et, par conséquent, de mieux indemniser les victimes. Il renforce les circonstances aggravantes en alourdissant les peines si les victimes d'un abus de faiblesse sectaire sont mineures ou vulnérables et en étendant à l'abus de faiblesse classique la circonstance de bande organisée.

L'article 2, dans la continuité, prévoit une nouvelle circonstance aggravante liée à l'état de sujétion de la victime pour certaines infractions telles que le meurtre, les violences ou l'escroquerie.

L'article 3 permet d'accroître le nombre d'associations intervenant en matière de dérives sectaires qui pourront se constituer partie civile, alors qu'une seule peut le faire aujourd'hui. Les victimes doivent avoir un large choix d'associations susceptibles d'agir en justice.

L'article 4 est le second poumon du texte, avec l'article 1er. C'est une disposition innovante qui constitue, j'en suis convaincue, une avancée majeure dans la lutte contre les dérives thérapeutiques à caractère sectaire. Il introduit deux nouveaux délits, la promotion de pratiques dangereuses et l'incitation à abandonner un traitement médical de sorte à mettre gravement en péril la santé de la personne. La création de ces infractions répond à la diffusion de techniques propres aux dérives sectaires dans le domaine de la santé, un phénomène qui prend une ampleur particulière sur les réseaux sociaux et qui nous préoccupe grandement. Encore une fois, je suis convaincue que ces dispositions vont dans le bon sens, même si nous devrons sans doute les améliorer afin d'en renforcer la sécurité juridique.

L'article 5 améliore la transmission d'informations par l'autorité judiciaire aux ordres professionnels nationaux de santé afin de renforcer l'efficacité des sanctions ordinales susceptibles d'être prononcées en cas de dérives thérapeutiques à caractère sectaire.

L'article 6 vise à garantir une meilleure information des acteurs judiciaires, principalement concernés par la lutte contre les dérives sectaires, qui pourront ainsi faire appel aux services de l'État compétents afin d'être éclairés sur ces phénomènes.

Enfin, l'article 7 comporte les dispositions de coordination permettant d'assurer l'application de ce projet de loi dans les collectivités d'outre-mer.

Le Sénat, qui a examiné ce texte à la fin de l'année dernière, l'a substantiellement modifié.

Il a d'abord supprimé les deux premiers articles, que je vous proposerai de rétablir. Toutes les auditions que j'ai conduites ont en effet mis en évidence le caractère essentiel de l'article 1er, dont le dispositif a été pleinement validé par le Conseil d'État.

Le Sénat a également supprimé l'article 4, pourtant central, qui vise à combler une véritable lacune de notre arsenal en nous dotant de moyens efficaces de lutte contre les dérives thérapeutiques à caractère sectaire, un phénomène qui prend de plus en plus d'ampleur. Il est primordial que nous soyons à la hauteur de cet enjeu de protection de la santé publique.

Dans sa grande sagesse, le Sénat a enfin ajouté plusieurs dispositions dont l'opportunité est variable mais qui appellent en tout état de cause des ajustements et des précisions. Il a ainsi souhaité conférer à la Miviludes un statut législatif. Je n'y suis pas opposée, mais le dispositif devra être revu. Il a ensuite érigé en circonstance aggravante la commission d'un abus de faiblesse en ligne : si je suis d'accord sur le fond, je vous proposerai, par cohérence, d'inclure ce dispositif dans l'article 1er. Le Sénat a également modifié le délai de prescription de l'abus de faiblesse commis sur un mineur pour en reporter le point de départ à la majorité de la victime, une mesure qui me paraît tout à fait judicieuse.

S'inspirant d'un dispositif que l'Assemblée nationale a récemment approuvé en adoptant, en première lecture en octobre dernier, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren), le Sénat a aussi prévu une peine complémentaire de suspension du compte d'accès au service en ligne utilisé pour commettre certaines infractions en lien avec les dérives sectaires. Si je suis favorable au principe, je veux aussi rappeler que nos débats doivent s'inscrire dans la continuité de nos votes précédents et qu'il n'est pas question ici de préempter les discussions sur le projet de loi Sren, qui devraient, je l'espère, aboutir prochainement. Restons prudents !

Ce projet de loi indispensable n'est qu'une pierre de l'édifice bien plus vaste constitué par la stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires. Je souhaite que nos débats permettent d'en restaurer l'ambition initiale, de montrer aux gourous qu'ils ne pourront plus continuer à sévir et d'assurer les victimes qu'elles ne sont pas seules et que l'État, la société, sont là. Il est indispensable d'envoyer un tel message. Je me rappelle les témoignages glaçants et bouleversants que j'ai entendus au cours d'une table ronde. Une des victimes disait : « On est une forteresse contre le reste du monde. » À nous, collectivement, de montrer que le monde n'est pas hostile mais qu'il agit, au contraire, pour soutenir les victimes et surtout prévenir les dérives dans lesquelles trop de personnes risquent d'être enfermées.

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