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Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 13 février 2024 à 15h00
Lutte contre les dérives sectaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Coaching à des tarifs exorbitants, médecines alternatives, théologies de la guérison, néocommunautés, écovillages à l'approche identitaire sont autant de potentielles dérives sectaires quand on y regarde d'un peu plus près. Ce panel non exhaustif laisse entrevoir l'ampleur des sujets que les gourous d'aujourd'hui instrumentalisent pour manipuler des personnes en perte de repères. Loin d'être anecdotique, la tendance sectaire inquiète, d'autant plus que l'on constate ces dernières années une recrudescence de ces pratiques, certes moins spectaculaires que dans les années 1980-1990, marquées par le tristement célèbre Ordre du Temple solaire, mais tout aussi dangereuses.

Créée en 2002, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires a pour objectif d'observer et d'analyser ces phénomènes, mais aussi d'informer le public des risques qu'ils représentent et de coordonner l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à leur encontre.

Cette mission est essentielle : entre 2015 et 2020, le nombre de saisines de la Miviludes a augmenté de 40 %, une vingtaine de condamnations ont été prononcées en 2020 et 150 enquêtes judiciaires sont en cours. Entre 2018 et 2020, la Miviludes a été saisie à plus de 9 000 reprises, faisant émerger de nouvelles pratiques. Les Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires, qui se sont tenues en mars 2023, ont révélé que 37 % des saisines concernaient le pôle sécurité, qui traite les risques immédiats pour l'ordre public ou les questions de sécurité graves pour les personnes, et 25 % le pôle santé. Près de 400 saisines concernent directement ou indirectement des mineurs.

C'est dans ce contexte que nous discutons aujourd'hui de ce projet de loi qui a fait réagir, c'est le moins qu'on puisse dire, le Sénat et le Conseil d'État. Le plus gros point de discorde concerne l'article 4, que le Sénat, suivant l'avis du Conseil d'État, a supprimé, mais que la commission des lois de l'Assemblée nationale a réintroduit.

Cet article prévoit de créer un nouveau délit, celui de provocation à l'abandon ou l'abstention de soins, pouvant entraîner pour les malades des conséquences graves pour leur santé, au point de les exposer à un risque immédiat de mort ou de blessures. Ce serait là un noble objectif, bien sûr, si, dans sa rédaction, l'article ne conduisait pas, ainsi que l'a souligné le Conseil d'État, à ce que le remède soit pire que le mal, alors que « ni la nécessité ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées ».

Pour le Conseil d'État, les choses sont simples : les mesures imaginées dans cet article ne sont pas nécessaires puisque notre arsenal législatif permet déjà de lutter contre les faits visés. Une personne peut dès à présent être condamnée pour exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, mais aussi en cas de recours à des pratiques commerciales trompeuses, en cas de refus d'assistance à personne en danger ou encore de mise en danger de la vie d'autrui.

Par ailleurs, le Conseil d'État s'inquiète – et je partage ses craintes – que l'équilibre entre la protection de la santé et la liberté des débats scientifiques ne soit ainsi fragilisé et mis à mal. En l'état actuel de sa rédaction, le risque est jugé trop grand que des soins dits non conventionnels ne puissent plus être promus, ce qui porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'opinion et d'expression.

La Miviludes a tiré une autre sonnette d'alarme : la prolifération des gourous qui s'en donnent à cœur joie sur les réseaux sociaux. Leur développement sur internet est tel qu'ils sont appelés les gourous 2.0. Leur stratégie est simple : isoler. Comme le démontrent divers rapports, les mineurs sont leurs cibles privilégiées puisqu'en les éloignant de la cellule familiale le gourou peut facilement les manipuler.

Afin de mieux les protéger, j'ai proposé plusieurs amendements, malheureusement déclarés irrecevables, pour limiter l'accès des mineurs aux réseaux sociaux comme à certaines plateformes numériques en conditionnant notamment l'accès à ces derniers à la présentation d'une preuve de majorité. Ces dispositifs sont compliqués à instaurer, je vous le concède, mais nous devrons faire preuve d'imagination. C'est d'ailleurs ce que le Gouvernement envisage d'appliquer pour limiter l'accès des mineurs à certains réseaux.

Selon Voltaire, « toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du doute et de l'erreur ». C'est possible mais peut-être pas au point de tout mettre sous surveillance policière, au risque de détruire le subtil équilibre, nécessaire et vital à toute démocratie, entre science et liberté d'opinion.

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