Les dérives sectaires restent aujourd'hui un phénomène prégnant et préoccupant dans notre pays. Des centaines de milliers de nos concitoyens sont concernés directement ou indirectement par ces problématiques. Si le phénomène n'est pas nouveau – la prise de conscience du danger représenté par les dérives sectaires en France remonte aux années 1970 – la Miviludes constate, depuis une dizaine d'années, un accroissement alarmant du phénomène sectaire.
Dans son rapport annuel 2020-2021, la Miviludes fait état d'une augmentation continue, d'une année sur l'autre, du nombre des saisines : plus de 33 % entre 2020 et 2021, plus de 44 % entre 2018 et 2021 et plus de 86 % entre 2015 et 2021. Ces chiffres ne représentent sûrement que la partie visible de l'iceberg. La crise sanitaire a intensifié ce phénomène qui s'est largement diversifié sur l'ensemble du territoire, y compris en outre-mer, où nous ne sommes pas préservés.
De nouvelles dérives sectaires sont apparues dans le contexte de l'épidémie de covid-19 – théories complotistes, courants apocalyptiques… – en particulier sur les réseaux sociaux. Des manipulateurs, des gourous qui se disent guérisseurs ou coachs de vie, discrets et parfaitement autonomes, ont ainsi propagé leur doctrine sectaire, grâce à internet et aux réseaux sociaux, dans les domaines de la santé, du bien-être ou de l'alimentation. Face à ces évolutions préoccupantes, nous ne pouvons que partager votre volonté d'informer et de sensibiliser davantage aux dangers de ce phénomène qui fait des milliers de victimes chaque année – victimes directes, mais aussi familles et amis entraînés dans ces dérives. Renforcer la lutte contre les dérives sectaires et les violences qu'elles engendrent constitue à la fois un enjeu de cohésion nationale, de santé et d'ordre public.
Si nous soutenons donc pleinement l'objectif de ce projet de loi, nous partageons également le scepticisme des associations face à ce regain d'intérêt du Gouvernement après des années d'inaction. Rappelons tout de même que la Miviludes, créée en 2002, a connu un déclin, voire un abandon progressif des pouvoirs publics. La Cour des comptes notait ainsi en 2017 que « ses ressources budgétaires au demeurant très modestes ont été sensiblement réduites au cours des dix dernières années ». Surtout, on a pu craindre en 2020 sa disparition pure et simple. Cet organisme n'a dû son maintien qu'à l'ampleur des protestations contre sa disparition.
Nous nous réjouissons ainsi du statut législatif conféré à la Miviludes dans ce texte. Cela permettra d'inscrire sa mission dans la durée et de conforter sa vocation interministérielle. Nous nous interrogeons cependant sur la volonté de ne pas mentionner directement dans la loi le nom de cette administration. Nous resterons vigilants sur ce point afin que le principe de la consécration législative de la Miviludes ne soit pas remis en cause.
De même, nous regrettons que la commission des lois ait réintégré les articles 1er , 2 et 4 de la loi. S'agissant de l'article 4, qui réprime la provocation à l'abandon de soins ou à l'adoption de pratiques dont il est manifeste qu'elles exposent la victime à un risque grave ou immédiat pour sa santé, nous ne pouvons souscrire à la formulation retenue en l'état. Certes, il est nécessaire de lutter contre les gourous en ligne qui incitent les jeunes à des régimes dangereux pour la santé ou qui dissuadent les malades du cancer de poursuivre leur chimiothérapie pour préférer quelques pratiques douteuses. En revanche, nous devons aussi protéger les lanceurs d'alerte et la liberté d'expression. On peut se demander, au vu de la rédaction actuelle de l'article 4, si Irène Frachon n'aurait pas été poursuivie pour avoir dénoncé le scandale du Mediator.