…ce serait réglé rapido. Bain froid et jeûne pour tout le monde, un petit peu de jus de carottes et vas-y que je t'envoie. » Ces mots sont ceux prononcés en pleine pandémie de covid-19 par Thierry Casasnovas, un gourou qui, bien que n'étant pas un influenceur issu de la téléréalité, est suivi par pas moins de 800 000 abonnés sur Youtube, où le millier de vidéos qu'il a postées portent des titres pour le moins explicites – « Dieu parle-t-il au travers de moi ? », « Soigner naturellement l'arthrose ? + le jus des cartilages » ou encore « Perte de cheveux : comment faire jeûner son cuir chevelu ? ».
Les sectes sont évidemment un phénomène ancien – nous avons tous en tête le stéréotype de gourous reclus dans des villages forcément autogérés. Mais les dérives sont protéiformes : elles inondent nos plateformes numériques, prennent parfois l'aspect de stages de yoga ou d'adhésion à un club de sport. Leur popularité peut même se trouver parfaitement institutionnalisée, comme en témoigne le cas de Thierry Casasnovas, qui publie comme un créateur de contenu classique des vidéos qui vantent pourtant le caractère miraculeux d'un jus de légumes. Le numérique permet un essor de ces dérives : c'est l'une des raisons qui nous amènent à considérer que ce projet de loi est le bienvenu.
Malgré des manques évidents en matière de moyens pour la Miviludes, les enquêteurs et la justice spécialisés, mais aussi en matière de prévention, d'accompagnement éducatif et de protection des victimes – qui nécessiterait une prise en charge automatique et digne de ce nom par l'État –, nous le soutenons, car le renforcement des sanctions contre les gourous et celui de la protection des victimes sont indispensables à la politique de lutte contre les dérives sectaires. Notre assemblée doit envoyer un message clair : les charlatans qui s'enrichissent sur le dos de leurs victimes devront être punis, et ces dernières mieux protégées et mieux indemnisées.
Néanmoins, ce texte repose sur un équilibre précaire, et toute tentative d'amoindrir ce qu'il lui reste de force, sous la pression de celles et ceux qui ont tant intérêt à ce qu'il ne soit pas adopté, serait malvenue, non seulement pour nous, pour l'image de notre assemblée, mais aussi – évidemment et avant tout – pour la protection de la santé et de la vie de nos concitoyens.
Cela étant clair, je souhaite rassurer les nombreuses personnes qui nous ont inondés de mails, ces derniers jours, pour nous alerter sur le caractère prétendument attentatoire à nos libertés du texte. « Ce qui est reproché aux sectes actuelles, c'est de faire de l'individu un pur moyen pour un pouvoir dont il est exclu et pour le bénéfice de quelques-uns voire d'un seul » écrivait Jacques Michel, professeur spécialiste du sujet, ajoutant : « Ces groupes opposent, à l'accusation qui leur est faite d'abuser des personnes et aussi de leurs biens, le principe de la liberté de conscience, se promouvant alors au rang de mouvements moraux, philosophiques ou religieux, empruntant il est vrai souvent et spécialement aux religions des éléments de leurs motifs, de leurs règles ou même de leurs cultes. En bref, se plaçant sous la protection des principes de liberté de conscience et de culte, et plus généralement sous celle des droits de l'homme, ils opposent à leur examen par le droit positif une sorte de fin de non-recevoir, considérant qu'ils ne relèvent pas du jugement profane. Et c'est bien sur ce point que se forme la question sectaire : dans le rapport au droit. »
Ici, chers collègues, nous créons le droit. Ce texte n'est évidemment nullement l'occasion de restreindre une quelconque liberté, pas plus la liberté de croyance que la liberté religieuse ou la liberté d'expression. Nous ne condamnons aucun discours a priori et, faut-il le répéter encore, nous chérissons – les socialistes, en particulier – les droits fondamentaux qui font de notre pays celui du droit. Je saisis cette occasion pour rendre hommage à Robert Badinter, qui a été un grand défenseur de ces droits fondamentaux.
Cependant, que dire de ces phénomènes sur TikTok, comme celui assurant que la communication animale, qui s'effectuerait par télépathie et nécessiterait de se mettre sur la même fréquence que l'animal, mort ou vivant ? Une telle séance de communication animale coûte entre 50 et 300 euros, et évidemment, il est également possible de payer une formation. Que dire encore de la mouvance à tendance mystique, également très présente sur TikTok, du divin féminin qui prône la reconnexion avec les énergies féminines pour rompre avec le patriarcat – c'est, par exemple, le cas du groupe Twin Flames Universe ?
Parce que nous refusons que le marché des sectes se développe, parce que nous sommes aux côtés des victimes, parce que nous avons besoin d'un arsenal législatif renforcé, nous ne pouvons qu'encourager le débat. Ne cédons pas à celles et ceux qui préfèrent l'obscurantisme à la science, à celles et ceux qui prônent la pseudo-science pour alimenter un business juteux : protégeons nos concitoyens, c'est une nécessité.