La loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, loi dite About-Picard, a créé le régime juridique de la lutte contre les dérives sectaires. Ce texte a instauré le délit d'abus de faiblesse lié à un état de sujétion psychologique ou physique. Il s'agit d'un acquis important que nous devons préserver.
Près de vingt-trois ans plus tard, l'État se doit désormais d'adapter son organisation et sa réponse pénales pour tenir compte des transformations du phénomène des dérives sectaires. C'est un impératif auquel personne ne peut se soustraire.
C'est la raison pour laquelle j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires. Il faut adapter notre droit et, plus largement, nous battre avec une détermination sans faille pour prévenir les dérives sectaires, pour punir, et pour venir en aide aux victimes des mouvements sectaires. C'est tout le sens de la stratégie nationale pluriannuelle de lutte contre les dérives sectaires, diffusée en novembre 2023 à l'issue d'une concertation interministérielle d'ampleur. Cette stratégie nationale comprend treize objectifs et quarante mesures opérationnelles, parmi lesquelles le présent projet de loi.
Mesdames et messieurs les députés, je veux le dire avec clarté, parce que c'est ma conviction profonde : l'État ne lutte pas contre les croyances, les opinions ou les religions, mais bien contre toutes les formes de dérives sectaires, c'est-à-dire contre des comportements dangereux qui constituent des infractions pénales.
La République garantit la liberté de conscience, comme l'énonce l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. » Nous y sommes profondément attachés.
En revanche, l'État protège ses citoyens contre le fléau des dérives sectaires qui constitue une menace pour notre cohésion sociale et dont les pratiques dangereuses font des milliers de victimes chaque année. Ce fléau est en constante évolution.
Ainsi, dans son dernier rapport d'activité, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes, alerte sur les solutions miracles proposées par certains pseudo-thérapeutes contre des pathologies cancéreuses, comme des injections de gui, du jus de citron, ou encore sur des interruptions de soins de médecine conventionnelle qui peuvent être particulièrement dangereuses. Voilà ce à quoi nos compatriotes sont exposés.
Face à des charlatans, dont les méthodes d'embrigadement évoluent sans cesse, nous ne pouvons laisser les victimes et leurs proches seuls ; nous devons les protéger.
Rappelons les grandes tendances qui caractérisent actuellement les dérives sectaires.
Premièrement, ce phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur : les signalements à la Miviludes ont doublé depuis 2010. Les difficultés sociales et la crise sanitaire ont accru les vulnérabilités de certains de nos concitoyens. Les signalements ne représentent certainement que la partie émergée de l'iceberg.
Deuxièmement, le phénomène s'est transformé en tirant profit du développement du numérique et des réseaux sociaux. À côté de ceux qui prétendent relever de la religion et continuent de sévir, de plus en de plus de petits groupes et de « gourous 2.0 » fédèrent de véritables communautés d'adeptes en ligne. En outre, la sphère complotiste, dont les thèses prospèrent sur la toile, se développe de manière préoccupante.
Face à ce constat inquiétant, le Gouvernement a mené une large concertation afin de faire émerger des propositions constructives. Je le disais, toutes les parties prenantes ont été réunies en mars dernier au ministère de l'intérieur et des outre-mer.
La stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires 2024-2027 est le fruit de ce travail d'une ampleur inédite. Elle se structure en trois axes : la prévention des risques de dérives sectaires, l'amélioration de l'accompagnement de proximité des victimes, et le renforcement de l'arsenal juridique.
Ce projet de loi, qui constitue la mesure phare de ce troisième axe, comprend bien sûr des dispositions répressives qu'il est nécessaire d'inscrire dans notre droit pénal, mais cela ne signifie nullement que le Gouvernement abandonne la prévention et l'accompagnement des victimes, comme certains l'ont déploré au cours des débats parlementaires. Parmi d'autres exemples, je mentionnerai simplement le doublement des effectifs de la Miviludes ces dernières années, et le soutien constant de l'État aux associations d'accompagnement des victimes, associations dont je tiens à saluer l'engagement.
Mesdames et messieurs les députés, madame la rapporteure, ce projet de loi a pour objectif une réforme majeure de notre dispositif juridique en matière de lutte contre les dérives sectaires. Il aura des effets importants tant sur la répression des auteurs que sur l'indemnisation et l'accompagnement des victimes.
L'ambition du Gouvernement est notamment, vous le savez, de créer deux nouveaux délits. Ainsi, l'article 1er crée un délit consistant dans le fait même de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique, et l'article 4 crée un délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins, ou à l'adoption de pratiques dont il est manifeste qu'elles exposent la personne visée à un risque grave pour sa santé.
Nous pouvons nous féliciter collectivement que ces deux articles aient été rétablis par la commission des lois de l'Assemblée nationale.
La santé est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre les dérives sectaires : elle fait l'objet de 25 % des signalements à la Miviludes. Il est donc essentiel de répondre, notamment grâce à la disposition prévue à l'article 4, à la prolifération de pratiques dangereuses pour la santé.
Par ailleurs, de manière cohérente avec la création du nouveau délit d'assujettissement psychologique et physique prévu à l'article 1er du projet de loi déposé par le Gouvernement, nous avons proposé, dans ce même texte, qu'une circonstance aggravante soit instaurée pour plusieurs crimes et délits – meurtres, actes de torture et de barbarie, violences, ou encore escroquerie – dès lors qu'ils sont commis dans un environnement sectaire. Rappelons qu'il n'existe pas actuellement de circonstances aggravantes en matière pénale liées à l'emprise sectaire. Je me réjouis également que ces dispositions aient été réintroduites par votre commission des lois, car elles doivent permettre d'adapter la réponse pénale au phénomène sectaire en réprimant les agissements concernés à la hauteur de ces méthodes d'emprise.
En complément, nous souhaitons renforcer l'accompagnement des victimes en donnant à plusieurs associations spécialisées la possibilité de se porter partie civile. Une procédure d'agrément par l'État établira la liste des associations autorisées.
Le projet de loi prévoit également une procédure de transmission obligatoire des condamnations et des décisions de contrôle judiciaire aux ordres des professions de santé, qui facilitera la prise de sanctions disciplinaires à l'encontre de praticiens déviants.
Enfin, l'information des acteurs judiciaires sur les dérives sectaires sera améliorée par une meilleure association des services de l'État, notamment la Miviludes. Les parquets ou les juridictions judiciaires pourront solliciter ces services, afin qu'ils leur fournissent, grâce à leur expertise, des informations utiles pour éclairer leur action.
À présent, je souhaite vous exposer plus en détail les objectifs de la création d'un nouveau délit d'assujettissement psychologique ou physique. Nous voulons agir en amont de l'abus de faiblesse, en sanctionnant le fait même d'assujettir une personne en exerçant des « pressions graves ou réitérées » ou des « techniques propres à altérer le jugement » – ces méthodes de sujétion sont déjà inscrites dans le code pénal.
Ce nouveau délit permettra de cibler la mécanique néfaste de l'embrigadement sectaire : elle détruit des personnalités, coupe les personnes de leur environnement familial et ruine leur santé, car elle ouvre la porte à tous les abus.
Nous cherchons ainsi à atteindre deux objectifs.
Premièrement, nous voulons remédier à l'insuffisance du cadre juridique pour appréhender les nouvelles formes de dérives sectaires que j'ai évoquées. La disproportion entre le faible nombre de procédures judiciaires engagées et la recrudescence des signalements à la Miviludes le montre. Les statistiques judiciaires font état d'une proportion importante d'affaires classées sans suite pour « infractions insuffisamment caractérisées » : c'est le cas de 186 affaires sur 586 entre 2017 et 2022. Nous constatons également un faible nombre de condamnations : sur 361 affaires instruites de 2017 à 2022, 95 se sont conclues par une condamnation. Cette situation n'est pas satisfaisante.
Deuxièmement, nous voulons améliorer l'indemnisation des victimes en reconnaissant mieux le préjudice corporel qui résulte de l'altération de la santé psychologique ou mentale des personnes sous emprise sectaire. En effet, l'assujettissement d'une personne n'est pas forcément suivi d'un abus frauduleux ou d'atteintes sexuelles, cependant cela entraîne fréquemment une altération grave de sa santé physique et surtout mentale.
Les séquelles peuvent se manifester de multiples manières : syndrome post-traumatique, dépression, perte d'autonomie, isolement social ou affectif extrême.
En l'état actuel du droit, la réparation par les tribunaux du préjudice sur la santé est plus qu'aléatoire. Les victimes sont parfois découragées par les difficultés du combat judiciaire. Les victimes doivent être bien mieux protégées et indemnisées – ce qui se fait aujourd'hui n'est pas suffisant. C'est l'ambition de la disposition prévue à l'article 1er du projet de loi.
Madame la rapporteure, je tiens à vous remercier particulièrement pour votre engagement constant pour protéger les victimes des dérives sectaires, notamment en rétablissant ce qui faisait l'essence de ce projet de loi dans sa version initiale. Vous animez depuis plusieurs mois un groupe de travail sur la prévention et la lutte contre les dérives sectaires, qui réunit régulièrement de nombreux députés. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.
Vous avez également souhaité enrichir le texte de nouvelles dispositions, telles que la consécration de la Miviludes dans la loi.
Vous savez combien je suis attachée à l'importance du travail parlementaire. J'étais moi-même commissaire aux lois jusqu'à l'été dernier et j'ai une pensée particulière pour mes anciens collègues, que je remercie chaleureusement pour leur travail. Je salue ces évolutions qui complètent utilement les propositions du Gouvernement. Je me réjouis qu'elles aillent dans le sens de notre volonté commune de renforcer la lutte contre les dérives sectaires et de mieux protéger les victimes.
Au-delà des parlementaires, j'aimerais également remercier tous ceux qui s'engagent publiquement pour cette noble cause. Je pense bien sûr à l'ancien sénateur Nicolas About et l'ancienne députée Catherine Picard, auteurs de la loi de 2001, ainsi qu'à Georges Fenech, ancien député et ancien président de la Miviludes, qui a été un acteur central de ce combat et dont la voix continue de porter. Je remercie aussi l'ensemble des associations spécialisées qui agissent au quotidien pour venir en aide aux victimes et à leurs familles. Leur action est cruciale. Je vous le dis avec gravité : elles ont besoin de ce texte pour aider les victimes toujours plus nombreuses à se sortir de ces spirales néfastes.
Ce sujet nous rassemble et je m'en félicite. Mesdames et messieurs les députés, madame la rapporteure, grâce à ce projet de loi, le Gouvernement entend renforcer grandement la capacité de l'État à agir efficacement contre les dérives sectaires. Ce texte marque une étape importante du combat contre les dérives sectaires dans notre pays.
Nous devons répondre présent, d'autant que ce fléau nous concerne tous. En effet, chacune et chacun d'entre nous peut en être victime, car nous avons toutes et tous nos faiblesses et nos fragilités, quelle que soit notre histoire personnelle.