Peut-être avez-vous lu le roman de Delphine de Vigan intitulé Les Enfants sont rois : cet ouvrage, qui m'a beaucoup marquée, décrit de manière visionnaire ce qu'en toute innocence, des parents peuvent faire de leurs enfants en les exposant sur les réseaux sociaux. C'est pourquoi je suis heureuse que cette proposition de loi de notre collègue Studer nous permette d'aborder la question du respect des droits de l'enfant sur les réseaux.
La question plus large consiste à se demander si les réseaux sociaux apportent quelque chose de positif dans nos vies. Plus le temps passe, et plus je suis convaincue qu'ils sont loin de constituer une avancée. Répondre aux difficultés engendrées par l'exposition de nos vies sur les réseaux sociaux constituera un grand défi.
La proposition de loi porte sur le respect de la vie privée des enfants, afin de garantir leur sécurité dans l'espace numérique. La protection de la vie privée est consacrée par l'article 16 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. Ce principe doit être conforté par une meilleure régulation de l'espace numérique.
Les enfants sont désormais surexposés sur les réseaux sociaux, dès leur plus jeune âge, à travers les comptes de leurs parents, puis sur leurs propres comptes. Cette diffusion photographique finit parfois sur des sites pédopornographiques : la moitié des images diffusées sur ces sites ont d'abord été publiées par les parents, avant de porter préjudice à l'enfant.
Chaque jour, 300 millions de photographies sont diffusées sur les réseaux sociaux, et plus d'un internaute sur deux prend une photographie dans le but de la partager en ligne. On estime qu'un enfant apparaît en moyenne, avant l'âge de 13 ans, sur 1 300 photographies mises en ligne sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches.
La publication, sur les comptes des parents, de contenus relatifs à leurs enfants, constitue l'un des principaux risques d'atteinte à la vie privée des mineurs, et ce pour deux raisons. D'une part, du fait de la difficulté à contrôler la diffusion de son image, ce qui est d'autant plus délicat dans le cas de mineurs. D'autre part, en raison du conflit d'intérêts susceptible de survenir dans la gestion du droit à l'image des enfants par leurs parents.
Les parents, titulaires de l'autorité parentale, sont les garants et les protecteurs du droit à l'image de leur enfant. Toutefois, avec l'essor des réseaux sociaux et l'économie d'influence qui en résulte, de nombreux parents se mettent à exploiter l'image de leurs enfants, et à les surexposer sur internet. Cette exploitation donne parfois lieu à des séquences humiliantes, dégradantes ou néfastes pour l'enfant.
Comme le souligne la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon, et le Défenseur des enfants, M. Éric Delemar, dans leur rapport annuel de 2022 consacré aux droits de l'enfant, « les violations du droit à l'image des enfants, composante du droit au respect de leur vie privée, restent en pratique communément admises ».
Ce texte vise à privilégier l'impératif de l'intimité face à la tentation de la viralité, afin de protéger la vie privée de l'enfant. Dans la continuité de la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans – loi « enfants influenceurs » –, qui ne concerne qu'une infime partie des enfants exposés, cette proposition de loi comporte quatre articles, et entend protéger la vie privée des enfants de manière pédagogique.
Le groupe Les Républicains est favorable au texte, avec toutefois une limite : le sentiment que cette loi n'aura pas d'effet réel, et qu'il s'agit plutôt d'un appel lancé à nos concitoyens. Cette loi vise à une prise de conscience, et à une modification des pratiques ; malheureusement, nous doutons qu'elle ait un réel effet sur les comportements des parents, et sur la protection des enfants quant à leur exposition en ligne.
Ce texte a néanmoins le mérite d'exister, et nous le voterons. Je remercie notre collègue Studer de l'avoir porté. Il s'agit d'un premier pas qui, selon moi, n'est pas suffisant, mais qui marque une étape vers un travail collectif plus important, afin de protéger nos enfants, et nos concitoyens, de toutes les dérives des réseaux sociaux.