La proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, adoptée par le Sénat à l'unanimité, met en œuvre les recommandations du rapport de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, publié le 16 mars 2022. Elle est le fruit d'un travail transpartisan mené dans le cadre de la mission de contrôle du Parlement.
Ces quatre mois d'enquête ont révélé un phénomène tentaculaire : l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur des pans entiers des politiques publiques, tels que la gestion de la crise sanitaire, la stratégie nationale de santé, l'avenir du métier d'enseignant et la mise en œuvre de la réforme des APL. Elle a mis en lumière des missions pléthoriques, externalisées, souvent de qualité médiocre, voire inachevées, validées et payés par l'État à des coûts exorbitants, en l'absence de système d'évaluation des prestations.
Ces abus et ces dérives inacceptables n'ont pas freiné l'essor de l'externalisation des prestations de conseil. La liste des missions déléguées à des cabinets de conseil privés au cours des dernières années témoigne d'un recours massif et croissant à leurs services. Certes, l'externalisation de mission n'est pas nouvelle, mais elle a doublé depuis 2018 et a augmenté de 45 % en 2021, portant les dépenses de l'État en la matière à plus de 1 milliard. Cette accélération du recours à l'externalisation soulève des interrogations au sujet de la capacité de la puissance publique à agir, à prendre ses décisions de manière souveraine et à bien utiliser les deniers publics.
Pour préserver la décision publique de toute influence des cabinets de conseil privés, prévenir les conflits d'intérêts et rendre transparent le recours à leurs services, la présente proposition de loi semble indispensable. Elle vise non pas à interdire le recours aux cabinets de conseil privés, mais à l'encadrer et à évaluer l'exécution des prestations fournies, tout en imposant une réelle transparence et en prévoyant un mécanisme de contrôle ainsi que des sanctions spécifiques.
Si le travail mené au Sénat a incité le Gouvernement à prendre timidement des mesures telles que la circulaire du 19 janvier 2022 ou l'inscription dans les jaunes budgétaires des dépenses liées au recours à des conseils extérieurs, les efforts engagés sont largement insuffisants. Le jaune budgétaire est lacunaire. Il ne présente ni la liste des missions de conseil commandées par l'État, ni les prestations informatiques, qui représentent près des trois quarts des prestations externalisées de l'État. Le renforcement du contrôle interne du recours à des prestataires semble très en deçà des enjeux. Nous soutenons pleinement la proposition de loi, dans un souci de transparence et d'exemplarité
Indépendamment de l'avancée qu'elle constitue, nous considérons que l'accélération du recours à l'externalisation est la conséquence du choix de l'affaiblissement des services publics, qui s'accompagne de la dégradation des compétences de la puissance publique, de la réduction de ses capacités d'action et de son étroite dépendance à l'égard d'opérateurs extérieurs.
Dans de nombreux domaines, l'État, ayant externalisé certaines de ces missions, ne possède plus l'expertise où les capacités matérielles nécessaires pour assurer en toute autonomie la conduite des politiques publiques. Pour rompre ce cercle vicieux, il faut réarmer les services publics, et procéder à la réinternalisation progressive des fonctions les plus stratégiques parmi celles qui sont sous-traitées, afin de rendre à la puissance publique les moyens de remplir ses missions en toute indépendance.