Je salue le travail du Sénat et celui de nos deux rapporteurs, dont l'un est mon voisin de circonscription et l'autre mon camarade de travée.
On nous incitait tout à l'heure à ne pas faire de politique. Je m'en étonne. Il n'y a rien de plus politique que la question de la transparence, condition de la confiance. Il n'y a rien de plus politique que la question de la démocratie, de l'autorité de l'État, de sa compétence et de la façon dont sont construites les politiques – que l'on m'excuse du mot – publiques.
Il n'y a rien de plus politique que de s'interroger sur le pognon de dingue donné à des cabinets de conseil. À titre d'exemple : 957 000 euros pour préparer une réforme des retraites finalement abandonnée ; 500 000 euros pour réfléchir à l'avenir du métier d'enseignant, ce qui certes est sans doute moins cher que Mme Oudéa-Castéra ; 235 600 euros pour un guide du télétravail ; 3,88 millions pour la réforme des aides personnalisées au logement (APL) ; 41 millions pour la stratégie à adopter face à la crise du covid-19. Voilà un échantillon de ce qu'a versé l'État à des cabinets de conseil pour des prestations inégales, à l'intérêt souvent limité !
Le coût des prestations facturées à l'État par des cabinets de conseil privés a été multiplié par trois depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir. On nous a pourtant vendu, en 2017, l'arrivée des professionnels et des super-technocrates qui allaient tout remplacer – la droite, la gauche, la politique – par la technocratie conquérante et talentueuse. Manifestement, ils ont besoin de beaucoup de soutien et de beaucoup de conseils dans cette entreprise ! Les Françaises et les Français ont pu constater l'amateurisme dont ils font preuve, encore dernièrement avec les déclarations de l'éphémère – nous l'espérons – ministre de l'éducation nationale.
Les chiffres sont vertigineux, et probablement sous-évalués. Le 27 novembre 2022, le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, avouait « des abus » et « une dérive » dans le recours du Gouvernement aux cabinets de conseil privés. Nous ne le citons pas souvent ; ses paroles ont valeur de recommandation pour l'examen de la présente proposition de loi.
Quant au président de la HATVP, Didier Migaud, il a déclaré au Sénat : « Le recours par l'État à des prestations de conseil peut légitimement susciter des inquiétudes en matière de déontologie et de conflits d'intérêts ». La question, décidément, est éminemment politique ! L'existence de dérives et d'abus est confirmée par le rapport sur le recours par l'État aux prestations intellectuelles des cabinets de conseil, publié par la Cour des comptes en juillet 2023. Il relève notamment une doctrine d'emploi incomplète, un pilotage mal assuré et des insuffisances au regard du droit des marchés publics.
Le recours massif et sans cesse croissant aux cabinets de conseil, outre la gabegie d'argent public et les potentiels conflits d'intérêts, avec lesquels nous avons malheureusement pris l'habitude de fonctionner concernant le pouvoir actuel, pose un grave problème : l'intervention toujours croissante des intérêts privés dans les affaires publiques. Cette question est éminemment politique. Dans la gestion des politiques nationales et locales, la décision publique est de plus en plus suspendue aux avis de prétendus experts, payés une fortune – 1 milliard par an tout de même – pour des résultats médiocres.
Ce que l'État demande aux cabinets privés, il peut le demander à son administration. Je rends hommage à ces 2,5 millions de fonctionnaires dépossédés des travaux de recherche au profit de cabinets qui n'ont pas une once de légitimité démocratique. Telle est bien la question que soulève ce débat : comment l'État détermine-t-il l'intérêt général dans la construction des politiques publiques ? La recherche de l'intérêt général et de l'efficacité doit-elle être confiée à des entreprises privées dont le but est de faire du profit ou aux serviteurs de l'État ? Notre réponse ne fait aucun doute.