Ce texte constitue l'aboutissement des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, qui avait remis son rapport en mars 2022. Une proposition de loi transpartisane a ensuite été adoptée à l'unanimité des votants, en octobre 2022. Je me réjouis de son inscription à l'ordre du jour de notre assemblée.
J'espère qu'à l'issue de nos discussions, nous aurons un texte équilibré et utile. Il répond en tout cas à une demande de nos concitoyens. La Cour des comptes, en 2014, les rapports de nos collègues Véronique Louwagie, en 2021, et Cendra Motin, en 2022, l'ouvrage des journalistes Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, Les infiltrés, la même année, et, plus récemment, le premier contrôle d'initiative citoyenne de la Cour des comptes ont tous, en effet et sous des angles différents et avec des approches et des sensibilités variées, identifié des insuffisances dans la manière dont l'État recourt aux prestations intellectuelles de conseil.
Selon les chiffres de la commission d'enquête, les dépenses de conseil se sont élevées à près d'1 milliard d'euros en 2021. Cela peut paraître beaucoup – peut-être même trop aux yeux de certains –, mais je ne suis pas là pour jeter la pierre à telle ou telle administration ; tel n'est pas mon rôle. Mon objectif est, conformément à l'esprit de cette proposition de loi, de permettre à l'État et à ses administrations d'avoir recours à des cabinets de conseil de manière raisonnée et transparente.
Je ne reviendrai que brièvement sur les différents articles du texte. Il prévoit des mesures nouvelles, que l'on peut classer en trois catégories : un principe de transparence, des règles déontologiques et des obligations déclaratives. Il dote également la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) de nouveaux pouvoirs, pour assurer le respect de ces règles.
Mais soyons francs et réalistes : ces obligations seraient, dans de trop nombreux cas, lourdes et inapplicables. Rappelons que l'idée n'est pas d'interdire le recours aux cabinets de conseil. Or, appliquer les règles telles que prévues dans la version du Sénat reviendrait de facto à leur quasi-disparition.
Je connais, monsieur le président, vos interrogations et je ferai au mieux pour y répondre. Tout d'abord, nous n'inclurons pas les collectivités territoriales dans le périmètre de la proposition de loi, pour une raison simple : aucune dérive n'a été identifiée en matière de recours aux prestations de conseil. En outre, les associations d'élus ont toutes insisté sur les difficultés que représenterait pour elles une transposition trop mécanique du texte, qui semble inadapté à leurs enjeux. Nous avons envisagé plusieurs solutions, mais aucune ne nous a paru satisfaisante. Nous demanderons ainsi un rapport au Gouvernement pour étudier l'instauration d'une plus grande transparence. Je demanderai à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de faire de même.
S'agissant du champ de la proposition de loi, l'intention des auteurs était d'embrasser un ensemble très vaste de prestations, dans une approche exhaustive. Du fait du vaste champ de prestations de conseil retenues et de la nature des obligations créées, il nous est apparu qu'il ne serait pas pertinent de conserver un périmètre trop large. Nous proposerons donc un amendement pour restreindre le champ des établissements publics concernés aux plus gros d'entre eux. Il nous semble par ailleurs que la Caisse des dépôts et consignations (CDC), que la loi qualifie d'« établissement spécial », doit faire l'objet de dispositions spécifiques.
Lors de nos travaux préparatoires, de nombreuses personnes auditionnées nous ont fait part de leurs craintes à propos de la déclaration d'intérêts prévue à l'article 10, et de l'obligation de déclarer les actions de démarchage figurant à l'article 11. Par leur caractère très général et exhaustif, ces exigences pourraient porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la vie privée des consultants, constitutionnellement garanties. Ces articles posent également des enjeux opérationnels, pour l'administration et pour les cabinets.
Nous y avons été sensibles : nous proposerons des amendements pour mieux cibler les informations exigées et rechercher un meilleur équilibre entre la volonté de prévenir les conflits d'intérêts et le nécessaire respect de nos libertés. Nous pourrons également prévoir d'adapter l'intensité de ces obligations au niveau de responsabilité du consultant.
Je proposerai également la suppression de l'article 16. Si je comprends l'objectif recherché par nos collègues sénateurs, cet article concernerait près de 5,5 millions de personnes et ferait peser sur la HATVP des obligations de contrôle bien trop importantes, sans être réellement pertinentes. Le code général de la fonction publique prévoit des contrôles de la HATVP pour les demandes de reconversion dans le privé lucratif des agents publics occupant ou ayant occupé, au cours des trois dernières années, un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient. Ces dispositions permettent déjà de couvrir les faits relevés par la commission d'enquête.
Enfin, je soutiendrai l'amendement de réécriture de l'article 18 de ma collègue Laure Miller, visant à le rendre conforme au droit européen et plus adapté à la réalité des besoins de sécurité. Sa rédaction actuelle empêche en effet les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) d'effectuer des missions de conseil, faute de pouvoir effectuer cet audit : in fine, il soutiendrait les gros au détriment des petits.
Le présent texte est important et attendu. Je sais pouvoir compter sur votre sérieux et votre travail pour que nous puissions trouver les meilleurs compromis possibles et l'adopter, comme je l'espère, à l'unanimité.