Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mardi 16 janvier 2024 à 21h30
Position de la france sur les accords de libre-échange

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

pour aborder ces enjeux, essentiels pour l'économie et l'avenir du monde.

L'étude Agrimonde-Terra, à laquelle je fais souvent référence, dont les résultats ont été publiés en 2020, est l'étude la plus complète, l'équivalent des rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), sur les questions alimentaires et agricoles. Sa conclusion est sans appel, et optimiste. Les chercheurs affirment en effet qu'il sera possible de nourrir les 10 milliards d'êtres humains qui habiteront la planète en 2050, mais à plusieurs conditions.

J'en ai retenu trois, qui sont essentielles et constituent toutes des principes de régulation. Premièrement, il faut réguler le régime alimentaire. Celui-ci doit évoluer dans tous les pays, notamment en occident où un effort doit être fait pour le rééquilibrer et le rendre compatible avec les limites planétaires. Deuxièmement, il faut limiter l'accaparement des terres et permettre le renouvellement des générations de paysans, en Europe comme dans les pays en voie de développement – « Le monde a besoin de toutes les agricultures du monde », affirmait déjà Edgard Pisani il y a quelques décennies. Troisièmement, nous devrons fonder notre économie sur les bases du commerce équitable : que les paysans puissent vivre dignement de la production de la nourriture et que celle-ci soit accessible à tous, même aux plus pauvres.

Il faut donc parvenir à équilibrer le bol alimentaire, à partager la terre de manière à maintenir un monde paysan nombreux et respecter les principes du commerce équitable.

Les traités qui nous sont proposés, comme le Ceta, le traité de libre-échange entre l'Union européenne et Singapour, celui entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande, ou l'accord commercial avec le Mercosur qui est en débat concourent-ils à cet objectif ? Évidemment non.

Ils augmentent les échanges en s'appuyant sur les avantages compétitifs respectifs des différentes parties, mais ils ne permettent pas de répondre à la question de la coopération, pourtant fondamentale. Ce sont donc des traités archaïques.

Je ne veux pas anticiper sur ce que diront brillamment nos collègues communistes ou écologistes afin d'éviter de nous répéter.

Je vous poserai plutôt deux questions précises, madame la ministre déléguée ; je suis sûr de la pertinence et de la force des réponses que vous y apporterez.

La première porte sur l'inclusion des directives européennes, qui ont connu une sorte de renaissance et même foisonné ces dernières années. J'en citerai quatre, mais il y en a beaucoup plus : l'accord sur la criminalité environnementale, qui constitue une victoire de la gauche et des écologistes dans l'Union européenne, mais qui a rassemblé une large majorité ; le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, qui vise notamment à lutter contre la déforestation importée ; la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), directive sur le reporting extra-financier, qui est une véritable modernisation de la comptabilité de l'économie et du capitalisme ; enfin, celle dont nous avons été les auteurs et les pionniers dans cet hémicycle en 2017, qui instaure un devoir de vigilance et qui devrait faire l'objet d'une directive européenne soumise à ratification avant la fin de cette législature.

Madame la ministre déléguée, comment le Gouvernement entend-il tirer bénéfice de ces avancées européennes très significatives mais sectorielles et thématiques, pour les inclure dans les accords de commerce internationaux ?

Pour élaborer la deuxième question, je m'appuie sur le rapport remis le 14 décembre 2023 par la commission d'enquête sur la maîtrise des impacts des pesticides qui s'est tenue à l'initiative du groupe Socialistes et aux travaux de laquelle nous sommes plusieurs à avoir participé. Nous avons réfléchi précisément aux conditions d'une transition agroécologique loyale pour les paysans – qui suppose l'absence de concurrence déloyale. Nous avons deux propositions précises à faire à Mme la ministre déléguée, pour lesquelles j'aimerais obtenir des réponses ce soir.

Premièrement, nous proposons d'abord d'en finir avec les limites de tolérance pour les résidus de pesticides que nous importons : la limite maximale de résidus (LMR) doit être égale à zéro. Cette décision est à la portée de la France et de l'Europe.

En outre, nous voulons interdire l'exportation vers des pays tiers de substances interdites au sein de l'Union européenne. Nous voulons en effet instaurer un principe de réciprocité afin de respecter les producteurs, les consommateurs, et, en somme, tous les citoyens du monde, selon un principe d'universalité.

Deuxièmement – et ce point est très important – les mesures et les clauses miroirs sont devenus des miroirs aux alouettes. Elles sont désormais la garantie de la continuité du commerce international dans n'importe quelles conditions. Elles étaient un principe de précaution, elles sont aujourd'hui un principe de justification.

Or on se heurte à un problème de faisabilité lorsqu'on examine de plus près cette question – comme s'y est employée la commission d'enquête. Le groupe Socialistes défend l'idée d'une inversion de la charge de la preuve : un tiers certificateur, reconnu par l'Union européenne, viendrait nous assurer que les produits appelés à entrer sur notre territoire ont été conçus dans des conditions sociales et environnementales conformes aux standards exigés par l'Union européenne sur son propre sol.

Madame la ministre déléguée, nous attendons vos réponses.

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