Aujourd'hui, 12 décembre 2023, la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques connaît l'aboutissement de son parcours législatif. C'est une date importante qui marque le terme d'un travail parlementaire de plusieurs mois, dont je mesure et salue l'ampleur. C'est un jour d'autant plus important que ce texte est le point culminant d'un travail qui a commencé il y a plusieurs années. Deux lois d'espèce ont ouvert la voie et accompagné l'évolution des mentalités sur cette question : l'une, adoptée en 2002, rendait à l'Afrique du Sud la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, qualifiée par dérision de « Vénus hottentote » ; l'autre, adoptée en 2010, a permis de restituer des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Toutefois, ces deux lois, aussi justes fussent-elles, ne concernaient que des cas particuliers et n'ont pas permis de dégager des principes généraux.
La loi-cadre que la représentation nationale s'apprête à adopter permet à la France de franchir ce pas, d'avancer vers la reconnaissance des droits des peuples et vers un nouvel horizon de coopérations culturelles et scientifiques. Ce texte est l'exemple même du travail accompli en bonne intelligence, qui a conduit à un dispositif équilibré. Vous avez tracé les principes d'une gestion éthique des collections publiques. L'inaliénabilité des collections, élément primordial du droit français, est garantie, tout en réaffirmant le respect de la dignité humaine que l'on doit aux corps des défunts.
Ce texte juste pose un cadre méthodologique clair. Il offre des garanties de transparence et de sécurité juridique aux institutions, aux demandeurs étrangers, aux légataires et aux donateurs. Lors de la commission mixte paritaire, les représentants des deux commissions ont également veillé à garantir la parfaite information du Parlement et à renforcer la transparence de la procédure. La dimension collégiale et consensuelle des restitutions n'en sera que plus forte, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Cette proposition de loi, d'origine sénatoriale, est le fruit d'une initiative transpartisane, dont les sénateurs Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias sont à l'origine. Sa qualité doit beaucoup aux rapporteurs du texte qui ont su construire un consensus, et à vos débats et propositions constructifs. Je salue, à cet égard, l'engagement de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, rapporteure du texte au Sénat qui, depuis plus de dix ans, a permis de faire avancer les questions de restitution, et du député Christophe Marion, qui a permis de parvenir aujourd'hui à un texte équilibré, grâce à un travail approfondi, tout en finesse.
Collectivement, vous avez su trouver des mots justes et des solutions adaptées pour régler des situations graves et le legs d'histoires douloureuses. Ensemble, nous avons réfléchi à la dimension à la fois profondément intime et collective des rites associés au corps humain. Rendre un corps, c'est faire en sorte qu'il retrouve sa juste place parmi les siens, ainsi que son lien à sa terre d'origine.
Vous avez longuement débattu du sens de l'expression « fins funéraires », retenue par la sénatrice Catherine Morin-Dessailly, que certains d'entre vous auraient voulu voir compléter par « fins mémorielles ». Pour citer le sénateur Pierre Ouzoulias, archéologue et distingué latiniste : « ''funéraire'' renvoie au funus, c'est-à-dire à un rituel romain qui célébrait autant le corps du défunt que sa mémoire. […] Dans cet esprit, le mot ''funéraire'' contenu dans la loi a une portée extrêmement vaste. » Je retiens de vos débats que les restitutions seront effectuées à des fins funéraires lorsqu'elles visent à appliquer des pratiques relevant du culte des morts et de l'hommage rendu aux morts, y compris l'inhumation, l'incinération, le placement dans un mémorial ou les rites à portée mémorielle effectués autour des dépouilles mortuaires existant dans les traditions du groupe humain d'origine. Cette large acception du terme « funéraire » pourra être mentionnée dans le décret d'application. Je m'engage à le préciser, afin que chacun puisse en mesurer la portée, sous réserve de la validation par le Conseil d'État.
La présente proposition de loi, aussi symbolique que concrète, invite fortement à l'action dans les musées, les universités, les collections publiques, les laboratoires de recherche. Elle témoigne de notre confiance dans le travail des chercheurs et des experts. Le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche seront vigilants quant aux moyens attribués à l'application de cette loi, qu'il s'agisse de la cartographie des ressources, des résidences scientifiques ou encore des formations des professionnels.
Sans attendre, plusieurs institutions ont déjà lancé d'ambitieuses recherches sur les restes humains conservés dans leurs collections. Depuis 2021, le muséum d'histoire naturelle de Toulouse s'implique dans un programme visant à mieux connaître et valoriser ses fonds malgaches : treize crânes humains figurent parmi les pièces étudiées. Ce projet a bénéficié d'un soutien financier du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. De même, l'université de Strasbourg a créé, il y a quelques mois, un conseil scientifique afin d'étudier des restes humains provenant des actuelles Tanzanie et Namibie. En quelques semaines, une centaine d'individus ont pu être identifiés. Ces exemples démontrent non seulement l'engagement des institutions mais aussi que de tels programmes produisent des résultats probants.
Le travail de recherche sera également favorisé grâce au mécanisme des commissions bilatérales. Elles assureront le traitement de chaque situation, au cas par cas, en prenant en compte leur spécificité. En leur sein, les expertises les plus pertinentes, juridiques, anthropologiques, historiques, autochtones, muséologiques, pourront s'exprimer. Elles engageront des coopérations culturelles et scientifiques vouées à perdurer longtemps après les restitutions.
Enfin, je voudrais insister sur le sujet des restes humains ultramarins, qui a beaucoup occupé nos débats. Si nous serons désormais en mesure de traiter les demandes des États étrangers, nous devons aussi entendre les revendications de nos compatriotes d'outre-mer. Comme le montre le cas des Indiens kali'nas de Guyane et du Suriname, nous devons trouver une solution juridique appropriée. Je me suis engagée à ce que nous y travaillions au plus vite. C'est pourquoi je vous annonce que le Gouvernement confiera, début 2024, une mission à un parlementaire sur ce sujet. Celle-ci, en lien avec la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale et la délégation sénatoriale aux outre-mer, aura notamment pour objectif d'évaluer le corpus des restes ultramarins conservés dans les collections publiques, de consulter les autorités administratives, politiques et coutumières des outre-mer, puis d'identifier le véhicule législatif le plus approprié. Le Gouvernement tiendra son engagement. D'ici un an – et j'espère même avant –, nous aurons, avec le ministre délégué Philippe Vigier, à partir des travaux de cette mission et en lien avec les territoires concernés, identifié des modalités juridiques précises en vue de restituer les restes humains originaires des territoires ultramarins. Nous y parviendrons.
Permettez-moi de conclure en convoquant le dernier chant de l'Iliade. Ce texte fondateur de notre civilisation, ce long poème, plein de bruit et de fureur, ne se conclut pas sur la mort d'Hector, ni sur celle d'Achille, ni même sur la prise de Troie. Il s'achève sur un moment d'humanité retrouvé : Achille accepte de rendre à Priam le corps de son fils Hector. Alors que le fracas de la guerre résonne encore, ces deux hommes, naguère ennemis, héros de leur peuple, trouvent dans leur commune condition de mortels le courage d'emprunter le chemin qui va de l'un vers l'autre. Telle est la leçon qu'Homère nous a laissée et que vous avez su entendre.