…j'ai reçu l'assurance des sénateurs que cette idée était déjà comprise dans une acception large du mot « funéraire ». Je suis donc convaincu que le texte qui vous est présenté respecte la double ambition d'une restitution qui comporte non seulement des vertus thérapeutiques – en permettant de respecter et d'honorer les ancêtres, de négocier la paix entre les vivants et les morts –, mais également des visées réparatrices. Les restitutions constituent, en effet, des actes symboliques de reconnaissance collective des erreurs et des injustices du passé.
Restituer un corps, c'est donc un processus qui mène au pardon et à la guérison des blessures et des traumatismes anciens et qui conduit, en définitive, à une négociation de paix non plus seulement entre vivants et morts mais entre des nations dont les relations furent marquées par une histoire commune tragique. Une histoire qu'il convient désormais de réécrire, de manière plus apaisée et sur des bases plus égalitaires.
La proposition de loi nous invite à ne pas oublier la dissection de Saartjie Baartman par Cuvier ou la décapitation du grand chef Ataï et de son takata Andja. Elle nous invite à faire nôtres les mots qu'écrivait Victor Hugo, en 1861, au capitaine Butler qui l'interrogeait sur le pillage et l'incendie du palais d'été de Pékin par les Français et les Anglais : « Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. » Entre pillages de tombes, trafics de corps et zoos humains, voilà ce que la civilisation fit à la barbarie.
Ce texte permettra de restaurer la dignité humaine arrachée à des individus, à la suite de l'appropriation de leurs restes par un État étranger, souvent hostile. Puisse-t-il permettre d'apporter une réponse rapide aux demandes effectuées par l'Australie, Madagascar ou l'Argentine. Puisse-t-il favoriser l'attribution de moyens aux chercheurs qui ont permis, par exemple, d'identifier récemment, dans les réserves du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), les restes humains d'esclavisés malgaches et mozambiques à Bourbon.
Si le texte n'a pas vocation à remettre en cause, de façon générale, le principe d'inaliénabilité des collections publiques, il vise toutefois à mettre ce principe en balance, considérant qu'il doit parfois s'effacer afin de rétablir la justice. Néanmoins, prenons garde à ne pas faire disparaître des pans matériels complets de ce qui fait notre humanité commune.
La présente proposition de loi nous invite à dépasser les simplismes, les jugements de valeur anachroniques ou l'essentialisation du passé. S'il est devenu fréquent, dans le contexte présent, de réduire l'entrée des collections de restes humains à des visées racistes, ayant bénéficié des campagnes coloniales et ayant contribué à leur légitimation, la réalité est plus nuancée.
Pour s'en convaincre, écoutons Pierre Flourens, professeur au Collège de France, qui déclarait, dans ses cours en 1854, en pleine période coloniale, à partir de l'étude des collections conservées au Muséum national d'histoire naturelle : « […] ce n'est ni le crâne, ni la peau qui constituent l'homme. Ce qui fait notre essence, ce qui est nous, c'est notre âme ; cette âme est la même dans tous les hommes ; notre fonds d'idées […] est le même, et cette identité […] est ce qui constitue l'égalité morale entre toutes les races humaines. Aucune n'est fondée à s'attribuer une suprématie sur les autres. »