Madame la ministre de la culture, nous souhaitons vous alerter sur la diminution progressive des locuteurs en langues polynésiennes, diminution favorisée par des barrières législatives empêchant leur efficace promotion auprès des jeunes générations. Je pense au tahitien, au marquisien, au paumotu, au mangarévien ainsi qu'à la langue des îles Australes et à celle de Rapa. La Polynésie est riche d'une histoire millénaire, construite par la symbiose constante des peuples qu'elle abrite. Chacune des langues que je viens de citer en constitue l'héritage.
Cependant depuis quelques années, force est de constater qu'au fil des générations, ces langues se perdent, vouant, fatalement, cet héritage à disparaître. Par une étude sur l'usage des langues polynésiennes, effectuée en parallèle du recensement de 2017, l'Institut des statistiques de la Polynésie française révèle que parmi près de 276 000 individus, 19 % seulement sont en mesure de lire, de parler et d'écrire en langue polynésienne. Le reste parle majoritairement français. En somme, seul un Polynésien sur cinq maîtrise l'une des langues polynésiennes. Les linguistes locaux considèrent déjà que, dans cinquante ans, ces langues pourraient disparaître. Ce constat est inquiétant.
Tout comme la liberté d'expression est une extériorisation de la liberté de pensée, une langue est l'expression d'une identité. Toutes les langues doivent jouir d'un travail constant de normalisation et d'uniformisation, puisqu'il y va de leur pérennité. Toutefois, que l'on ne s'y méprenne pas : il est ici question d'une uniformisation des règles linguistiques et non des règles de pensée.
Or, l'acharnement avec lequel s'est imposée la langue française fut, comme l'histoire en témoigne, d'une violence telle qu'elle a écrasé les autres langues. Une identité en a écrasé d'autres au nom de l'unité nationale. Si rien n'est fait, madame la ministre, dans quelques années, nous aurons affaire à des langues mortes.
Je reconnais volontiers que plusieurs lois ont été adoptées afin d'améliorer la situation actuelle. C'est le cas de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, inscrivant pour la première fois une reconnaissance de l'enseignement bilingue en français et en langue régionale dans la législation française. Plus récemment, la loi dite Molac du 21 mai 2021 avait pour ambition de définir diverses mesures de protection et de promotion du patrimoine constitutionnel des langues régionales.
Pourtant, madame la ministre, les chiffres montrent que ces mesures demeurent insuffisantes, puisque seul un Polynésien sur cinq parle une langue polynésienne. Les lois en vigueur ont surtout vocation à préserver ces langues, lorsqu'il s'agirait d'en faire la promotion.
Des mesures comme l'enseignement immersif ou la reconnaissance des signes diacritiques au sein des actes administratifs seraient une meilleure façon de promouvoir les langues polynésiennes, mais les dispositions en question ont malheureusement été écartées par le Conseil constitutionnel.
J'affirmais qu'il existait des barrières législatives à la promotion des langues polynésiennes ; il serait plus juste d'évoquer des barrières constitutionnelles dont les barrières légales ne font que découler. Le droit positif actuel est tel que la langue française ne souffre plus aucune concurrence. Ne serait-il pas temps de lâcher du lest sur ce principe constitutionnel, en envisageant que l'unité de la nation ne se fonde plus sur l'usage d'une seule langue, mais sur la multitude des langues qu'on y parle ?
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour améliorer cette situation ?