Je n'approuve pas votre propos, monsieur Dumont, malgré l'estime et l'amitié que je vous porte pour des raisons qui n'ont pas seulement à voir avec notre terre d'élection. Vous pourriez me faire crédit qu'il m'arrive de penser et de proposer des choses, indépendamment d'un texte de loi. C'est tellement vrai que, comme l'a rappelé M. Balanant, je me suis exprimé sur la rétention des mineurs dès mon arrivée au ministère de l'intérieur, en 2020. Bien avant le dépôt de ce projet de loi au Conseil d'État, j'avais pris une instruction ministérielle sur le sujet. N'essayez donc pas de faire croire que cet article n'est motivé que par la recherche d'un équilibre politique – et il m'arrive évidemment d'agir dans ce but – parce que ce n'est pas le cas.
Si vous visitez beaucoup de CRA, je pense que mes fonctions de ministre de l'intérieur m'ont amené à les visiter quasiment tous. Après mes très nombreux déplacements à Mayotte, je peux vous dire que le CRA de Pamandzi en Petite-Terre n'est pas comparable à ceux du Mesnil-Amelot, de Lesquin ou de Vincennes. Il n'est jamais facile de passer quelques jours dans un CRA, mais celui de Mayotte est objectivement très différent des autres, ce n'est pas un lieu carcéral comme il en existe sur le territoire hexagonal.
Je ne crois pas que ce soit un service à rendre aux futurs adultes que sont des enfants de 3, 4, 5 ou 6 ans, en pleine construction psychologique et mentale, de les laisser pendant des jours, des semaines, voire des mois dans des CRA qui ont changé de nature. Actuellement, les personnes qui se retrouvent dans les CRA de l'hexagone sont des hommes dans 99 % des cas, fichés pour radicalisation, condamnés pour terrorisme ou pour des actes délictuels ou criminels. On risque d'en faire des bombes humaines si nous laissons ces enfants dans des CRA où ils peuvent subir des attouchements ou des viols. Ne parlons pas des cris et des actes de violence, notamment à l'égard des personnes dépositaires de l'autorité publique, agents de la police aux frontières (PAF) ou gendarmes dans le cas du centre de Lyon, qu'il faut honorer de faire ce travail très difficile.
Étant donné le changement de nature des CRA depuis quelques années, je ne crois pas qu'il soit judicieux d'y placer des enfants de 3, 4, 5 ou 6 ans. C'est aussi le jeune père de famille qui vous parle, mais je pense que l'Assemblée nationale ne peut pas à la fois dire que les 1 000 premiers jours sont très importants dans la vie d'un enfant, et envisager d'enfermer certains enfants dans un CRA avec des fichés S. Cela me paraît incompatible. Même s'ils ne deviennent pas tous des bombes humaines, ils subiront des traumatismes évidents. Quels adolescents et adultes deviendront-ils ?
En outre, monsieur Dumont, cette mesure n'est pas un frein à l'éloignement. Les mesures d'éloignement de familles ont progressé de 5 à 10 % cette année, alors que nous n'y plaçons plus d'enfants, sauf exception. Cette année, dans l'hexagone, nous avons encore placé une cinquantaine de mineurs en CRA pour quelques heures ou quelques jours : dans certains cas, les préfets ou policiers n'avaient pas appliqué ad litteram l'instruction ministérielle ; dans d'autres, il n'y avait pas de place en hôtel.
Nous assignons ces personnes à résidence au domicile ou à l'hôtel, sous surveillance policière, jusqu'au départ de l'avion. Nous ne sommes pas naïfs, et l'idée n'est pas que des gens puissent utiliser des mineurs pour éviter un éloignement. Il ne s'agit pas de renoncer à éloigner les familles avec enfant, mais de le faire dans des conditions qui ne soient pas traumatisantes. La preuve de l'existence du pudding, c'est qu'on le mange. De même, la preuve qu'il n'est pas nécessaire de placer des enfants en CRA pour parvenir à améliorer nos taux d'éloignement de familles, c'est que nous le faisons. Les enfants ne sont en rien responsables du comportement de leurs parents. Évitons de les placer en position d'être profondément marqués par un séjour en CRA, où ils risquent d'être atteints sur le plan mental et psychologique, voire physique.
Cela étant, c'est une décision politique qui n'était pas nécessairement soutenue par les services du ministère de l'intérieur, qui ont leurs réflexes et habitudes. Lors de mes visites en CRA, j'ai vu des enfants de 3 ou 4 ans à côté de personnes radicalisées en train de crier, de les agresser, eux ou leur mère. Quand on est un homme ou une femme digne de ce nom, qui aime la République, on ne peut pas laisser cela perdurer. Cela ne nous empêche pas de montrer une grande fermeté à l'égard des délinquants étrangers. Ce n'est pas faire du « en même temps ». Le fait d'être dur envers les étrangers délinquants n'empêche pas de comprendre que l'on ne peut pas mettre des enfants de 3 ans dans des CRA où se trouvent de nombreux radicalisés. Cela me paraît assez évident. Si j'étais cynique, je vous dirais que ça libère des places : moins on y enferme des femmes accompagnées de leurs enfants, plus on peut y placer des délinquants étrangers, essentiellement des hommes, qui sont ainsi écartés de l'espace public, ce qui fait baisser la délinquance.