Madame Genevard, je ne partage pas votre analyse. J'ai plutôt l'impression que l'amendement du rapporteur général sécurise ce qui existe et évite les jurisprudences. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans l'hémicycle.
Monsieur Delaporte, puisque la transmission des informations avec M. Kanner n'est pas très au point, je vais vous lire le courrier que je lui ai adressé, comme je m'y étais engagé, ainsi qu'à l'ensemble des présidents de groupe du Sénat.
« Le Sénat a adopté, lors de la séance publique consacrée à l'examen du projet de loi “ Contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ”, des dispositions nouvelles relatives au titre de séjour étranger délivré à l'étranger qui se prévaut de son état de santé.
En l'état actuel du droit, tout étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui ne peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, se voit délivrer un titre de séjour pour soins. L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) est chargé de rendre un avis sur ces trois critères.
Les modalités d'appréciation du critère de gravité de la pathologie ne sont actuellement pas définies dans la loi, mais par un arrêté du 5 janvier 2017 qui fixe les orientations générales destinées aux médecins de l'OFII. Selon cet arrêté, la gravité se mesure par la mise en cause du pronostic vital de l'étranger ou la détérioration de l'une de ses fonctions importantes.
L'absence, dans le domaine législatif, empêche les tribunaux de juger favorablement les décisions prises par les médecins de l'OFII.
Le Sénat a adopté l'article 1er F qui vise à consacrer, au niveau législatif, la définition de ces modalités d'appréciation afin de sécuriser le travail des agents de l'OFII.
Comme suite à mon engagement pris au banc de faire part aux groupes politiques des deux assemblées de mon analyse sur ces dispositions, celles-ci apparaissent conformes à nos obligations constitutionnelles et conventionnelles. La Cour européenne des droits de l'homme, en particulier, limite très souvent l'application de l'article 3 de sa propre convention, interdisant les traitements et peines inhumains et dégradants, aux cas d'éloignements d'étrangers malades dont le pronostic vital est engagé fortement ou qui justifient de “ considérations humanitaires impérieuses ” dans des “ cas très exceptionnels ”.
Si la Cour ne limite plus sa protection aux étrangers qui font face au risque imminent de mourir, elle exige a minima que soit prouvé un risque réel d'être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de l'état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de l'espérance de vie.
Conférer une valeur juridique plus importante à ces modalités d'appréciation permettra à l'administration de disposer d'outils juridiques renforcés pour limiter les abus constatés sur les demandes de bénéfice à ce titre de séjour. À titre d'illustration de ces demandes abusives, le dernier rapport de l'OFII s'agissant des données de 2021, indique que depuis 2017, ce sont 234 demandes qui ont été présentées par des étrangers qui souhaitaient entrer, en France, dans un parcours de procréation médicalement assistée. Dans le même sens, ce sont, en 2022, 45 demandes déposées, pour des cas d'obésité non morbide, 218 pour des motifs liés à l'apnée du sommeil et 39 pour des cas de varices. »
La lettre fait également mention du fait que le Sénat a adopté l'article 1er E concernant les étrangers pouvant bénéficier d'un traitement adapté à leur pathologie dans leur pays d'origine. Elle se poursuit ainsi : « Si la mise en œuvre adaptée au cas d'espèce de ces dispositions par les préfets, s'exercera sous le contrôle du juge administratif, conformément à la jurisprudence constante du Conseil d'État et de la CEDH, selon le principe d'une appréciation in concreto de la situation des intéressés, il importera dès lors dans les décisions prises, de porter une attention particulière au caractère adéquat et suffisant […] des soins disponibles dans le pays d'origine de l'étranger. »
Les dispositions ainsi votées par le Sénat, si elles étaient validées par l'Assemblée nationale et promulguées par le Président de la République, permettraient, avec la même réglementation élevée au niveau de la loi, de lutter contre des jurisprudences qui vont à l'encontre de l'esprit voulu par le législateur dès 2017.