Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 28 novembre 2023 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Madame Genevard, nous aurons l'occasion de revenir sur ce point dans le débat sur votre proposition de loi constitutionnelle, car j'ai bien compris qu'il s'agissait d'une forme d'amendement d'appel. Vous savez en effet fort bien que ce n'est pas par la loi que l'on peut réviser la Constitution ou modifier la CEDH : ce débat en prépare d'autres.

En tout cas, je ne sais pas ce que vous imaginez, mais il ne suffira pas de modifier la CEDH : il faudra aussi modifier le Préambule de la Constitution de 1946, et en particulier ses alinéas 10 et 11, car c'est avec ce texte – et non pas avec la CEDH – qu'est né le regroupement familial, qui concerne l'individu et la famille et qui a été reconnu dans notre bloc de constitutionnalité.

Cela est tellement vrai qu'en Grande-Bretagne, où s'applique, non pas le Préambule de 1946, mais, en matière internationale, un droit mou de 1946 qui assure notamment les liens avec l'ONU, la Cour suprême a déclaré que, si le gouvernement britannique sortait de la CEDH pour appliquer des mesures relevant de la vie privée et familiale, elle casserait ces dispositions, ainsi que celles qui viseraient à accueillir les réfugiés dans un autre pays – le Rwanda.

La question dépasse donc la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme et le champ du Préambule de1946, ainsi même que, pour certains aspects, celui de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Deuxièmement, il est tout à fait faux de dire que le juge donne systématiquement raison aux arguments fondés sur la vie privée et familiale. À ma connaissance, moins de 10 % des décisions proposées par les préfets sont cassées au nom de l'article 8 et de l'article 3 de la CEDH.

Troisièmement, quand je dis que je ne suis pas la CEDH, je ne parle pas de la Convention européenne des droits de l'homme, mais de la Cour européenne des droits de l'homme, qui ne prévoit pas le caractère suspensif de ses décisions. Contrairement, donc, à d'autres ministres de l'intérieur, lorsque des personnes sont très dangereuses – j'ai bien conscience qu'il ne s'agit plus de votre amendement, qui concerne l'article 8 de la CEDH, alors que je parle ici de l'article 3, qui vise des gens qui seraient condamnés à mort ou subiraient dans leur pays d'origine des traitements inhumains et dégradants –, sans attendre un jugement qui, par nature, n'a pas été prévu comme suspensif, j'applique la jurisprudence de la CEDH et j'attends la condamnation, plutôt que de garder dans notre pays ces personnes dangereuses.

Ne confondons pas la CEDH-convention avec la CEDH-cour. Le ministre de l'intérieur respecte les règles de la République, les conventions internationales et les jugements rendus. La question n'est pas que nous n'appliquerions pas les dispositions relatives à la vie privée et familiale pour les étrangers, mais que nous voulons pouvoir éloigner des personnes qui ne respectent pas les règles de la République. Il ne faut pas regarder les étrangers pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils font. Ce qui doit nous intéresser n'est ni leur prénom, ni leur origine, ni leur couleur de peau, ni leur religion ou le fait même qu'ils soient étrangers, mais leur comportement. C'est sur leur comportement qu'il faut juger les gens, et ce n'est pas en modifiant la CEDH ou en en sortant que nous y parviendrons. L'argument n'est donc pas recevable.

Nous aurons l'occasion de parler de votre proposition de loi constitutionnelle, qui toutefois, comme nous venons de le voir, ne réglera pas votre problème.

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