Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mercredi 6 décembre 2023 à 14h00
Lutte contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Surtout, vous faites l'impasse sur un élément essentiel à cette lutte : les statistiques ethniques, qui font régulièrement débat en France alors qu'elles sont utilisées par vingt-deux États européens, sans compter les pays anglo-saxons comme le Royaume-Uni et les États-Unis. Certes, l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose : « Il est interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne physique […], des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique. » Néanmoins, les alinéas suivants prévoient des dérogations, par exemple au nom de l'intérêt public ou de la protection des personnes, à cette interdiction de principe.

Lever l'interdiction de collecter des statistiques ethniques permettrait d'objectiver certaines données, de préciser certaines connaissances, et par conséquent de mieux apprécier les politiques publiques. De telles statistiques serviraient notamment les politiques d'intégration et de lutte contre les discriminations. Dans son rapport consacré à l'intégration des étrangers, publié en février 2018, Aurélien Taché déplore cette lacune : « Pendant toute la durée de ma mission, je me suis heurté à la difficulté d'objectiver nombre de constats sur la situation des personnes étrangères en France », écrivait-il, proposant directement que les grands services publics – caisses d'assurance maladie, caisses d'allocations familiales, Pôle emploi, etc. – puissent enrichir leurs données de gestion de celles concernant la nationalité, afin de mesurer l'accès effectif des étrangers à ces dispositifs. Ces statistiques constitueraient également un moyen objectif, scientifique, de déterminer les liens entre, par exemple, immigration et délinquance, non pas pour stigmatiser, mais pour contribuer aux politiques publiques relatives à l'intégration ou à la mixité, tout en établissant officiellement ce qui est officieusement évident depuis quarante ans : le secret de Polichinelle français. Le Danemark illustre d'ailleurs parfaitement ces possibilités.

La proposition de loi que nous examinons tend à lutter davantage encore contre les discriminations, puisque, selon l'exposé des motifs, « plus d'un quart de la population active française considère que les individus sont souvent ou très souvent discriminés au cours de leur vie, quel que soit le critère envisagé » : un objectif louable, naturellement, avec pour leviers, d'une part, un service placé sous la tutelle du Premier ministre et ayant pour mission la lutte contre toutes les formes de discrimination, d'autre part, au sein de ce futur service, un comité des parties prenantes, composé entre autres de parlementaires et de représentants des personnes morales susceptibles d'être testées. Enfin, le texte donnerait une base législative à la diffusion des résultats des tests statistiques, donc à la publication des noms des personnes morales dont le comportement discriminatoire serait établi.

Dès lors, deux visions des statistiques se dessinent : l'une vise à un tableau de la honte répertoriant les mauvais élèves, ceux qui ne respecteraient pas certains critères et quotas, l'autre – que je défends – à s'appuyer sur des données chiffrées afin de tenter de comprendre la société dans laquelle nous vivons et, in fine, de mieux la servir. Convaincue que ces données touchant l'état de la société sont toujours bonnes à connaître, j'ai déposé un amendement afin de lever totalement le tabou des statistiques ethniques, qui, je le répète, constitueraient un véritable atout pour préciser nos connaissances, notamment en matière de discriminations, et concourraient à une meilleure appréciation des politiques publiques actuelles et futures. Dommage qu'une fois encore, il ait été déclaré irrecevable…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.