Comme les précédents orateurs l'ont déjà largement rappelé, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui vise à créer un service d'État doté de moyens spécifiques pour dépister – si vous me permettez d'utiliser ce terme – et objectiver l'existence de discriminations, et y mettre fin autant que possible, est intéressante à double titre – par son objet et par son objectif. Dans le domaine de l'emploi et de l'accès au travail, tous nos concitoyens sont susceptibles d'être victimes d'une discrimination pour des motifs variés, souvent fondés sur des préjugés. Il est donc important de pouvoir identifier les situations de discrimination et de les signaler, notamment grâce à la pratique de tests individuels de discrimination sur un critère spécifique – une méthode reconnue aussi appelée testing – et des statistiques. Le nouveau dispositif de lutte contre les inégalités dans l'accès au travail que le texte vise à créer mérite donc a priori l'intérêt et le soutien d'une large majorité de députés.
Là comme ailleurs, le trouble vient en réalité non de la finalité poursuivie, mais des moyens et modalités choisis.
Tout d'abord, le champ d'application retenu est étroit, et on ne peut que regretter que les discriminations dans les domaines du logement ou de la santé ne figurent pas dans l'escarcelle du futur service de l'État. Ensuite, si les tests sont un des outils permettant de mettre en évidence la pratique de discriminations, d'autres auraient été intéressants, comme les audits. Enfin, certaines propositions souffrent encore d'imprécision : par exemple, la composition et les objectifs du comité des parties prenantes, chargé d'élaborer la méthodologie des tests et d'émettre les avis, restent flous, notamment en termes d'équilibre entre les participants. Vous avez abordé ce point dans votre déclaration liminaire, madame la ministre déléguée, mais nous attendons des précisions.
En outre, si la procédure après la notification de l'avis a été précisée en commission, le statut de l'avis rendu sur la base des tests n'a pas été clairement établi : s'agira-t-il d'un constat, ou une simple recommandation pouvant être contestée ?
J'en viens à ce qui pose un problème de fond, et sur lequel nous espérons que les débats nous permettront d'évoluer.
Dans son avis sur cette proposition de loi, la Défenseure des droits, qui se félicite du sens du texte, se dit néanmoins clairement défavorable à l'idée de confier de telles compétences à un service de l'État qui ne présente aucune garantie d'indépendance. La création d'autorités administratives indépendantes (AAI) dans divers domaines depuis cinquante ans répond à une double préoccupation : d'une part, assurer la protection des libertés des citoyens en la soustrayant le plus possible au contrôle ministériel ; d'autre part, développer la réglementation et la surveillance des activités dans des secteurs nouveaux ou sensibles, en les confiant à des autorités techniques, facilement identifiables et éloignées du pouvoir de l'État, jugé interventionniste. Le statut même de ces AAI garantit leur indépendance – un critère important et une question centrale s'agissant de votre proposition : pourquoi vouloir créer une nouvelle instance dont les compétences pourraient tout à fait être exercées par une AAI existante, pour peu qu'on lui accorde les ressources nécessaires ? Créer une nouvelle instance ne simplifiera pas forcément la vie des citoyens, qui auront certes le choix entre deux structures, mais avec des résultats différents.