Intervention de Éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du lundi 4 décembre 2023 à 21h30
Saisie et confiscation des avoirs criminels — Présentation

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je suis très heureux de vous retrouver ce soir pour examiner une proposition de loi de votre collègue Jean-Luc Warsmann tendant à renforcer les dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Nous sommes réunis ce soir pour envoyer un message clair : nul ne doit tirer profit de son crime. Il est indispensable que les peines prononcées par les juridictions pénales visent cet objectif afin que le crime ne paie plus.

C'est, vous l'avez rappelé, avec la loi du 9 juillet 2010, dite loi Warsmann, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, que notre approche des enquêtes a enfin évolué. Votre loi, monsieur le rapporteur, a acté qu'il était désormais nécessaire d'investiguer sur le patrimoine des délinquants et criminels et que nos moyens d'enquête et de poursuite, aux fins de confiscation des avoirs criminels, devaient être renforcés.

Deux axes, consacrés par cette loi, ont ainsi rénové notre approche et notre action judiciaire. D'une part, les possibilités de saisies, au stade de l'enquête, ont été étendues à tous les biens confiscables afin que les juridictions de jugement puissent in fine confisquer l'ensemble des avoirs criminels. D'autre part, l'État s'est doté, pour la première fois, d'un dispositif de gestion des biens saisis et confisqués. C'est ainsi que l'Agrasc a vu le jour.

Disons-le clairement : ce nouvel arsenal s'est révélé d'une efficacité redoutable. L'Agrasc est devenue le bras armé de l'État pour aller chercher réparation auprès des délinquants en les tapant au portefeuille – si vous m'autorisez l'expression. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le montant des saisies n'a cessé d'augmenter depuis la création de l'Agrasc. En 2011, 109 millions d'euros étaient saisis contre 771 millions d'euros, dix ans plus tard, en 2022, soit une multiplication par sept. Le développement des saisies et confiscations en matière pénale occupe désormais une place majeure et constitue un axe fort de la politique pénale du ministère de la justice.

Je m'engage d'ailleurs devant la représentation nationale à ce que cette mobilisation totale perdure et s'amplifie sans relâche. Les policiers, gendarmes, douaniers, procureurs de la République, les juges d'instruction et juges des libertés et de la détention s'emparent chaque année plus fortement de ce levier de lutte contre le crime. Le montant des confiscations traitées s'élevait à 86 millions d'euros en 2020 tandis qu'en 2022, il se hissait à près de 172 millions d'euros, soit une multiplication par deux. L'efficacité de l'Agrasc ne cesse de croître puisqu'en 2022, l'exécution des confiscations a bondi de près de 14 %.

Mais il faut aller plus loin, frapper plus vite et plus fort le patrimoine des criminels et des délinquants. Après une décennie de progrès incontestables, en particulier lors de ces trois dernières années, certaines lacunes ont été identifiées et il convient de les combler ; c'est ce que nous allons tenter de faire ensemble ce soir.

Monsieur le rapporteur, vous avez conduit avec Laurent Saint-Martin – que je salue chaleureusement – des travaux d'évaluation de l'ensemble du dispositif. Dans votre rapport intitulé « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » remis le 26 novembre 2019, vous estimiez – à juste titre – qu'il existait encore des marges de progrès dans cette matière. Je vous rejoins sur le constat et je suis ravi que nous ayons pu travailler ensemble pour renforcer notre arsenal pénal.

Plusieurs recommandations de ce rapport ont d'ores et déjà été mises en œuvre. Je voudrais d'abord évoquer le redimensionnement de l'Agrasc, que j'ai défendu avec force, afin de développer son emprise territoriale. Nous avons ouvert des antennes à Lille, à Rennes, à Marseille, à Lyon, à Fort-de-France, à Nancy et à Bordeaux, qui s'ajoutent à l'antenne originelle parisienne. Ces huit antennes assurent avec une efficacité redoublée l'ensemble des missions de l'Agence au plus près de nos juridictions et des réalités locales de la délinquance, pour améliorer la gestion des scellés à visée confiscatoire et l'exécution des décisions de confiscation.

Désormais, les biens immobiliers confisqués peuvent donner lieu à une réaffectation sociale, pour que soient développés des programmes d'intérêt public. Grâce à la loi du 8 avril 2021 que j'ai défendue avec les députés Dimitri Houbron et Didier Paris, des associations, des fondations ou des foncières solidaires peuvent se voir attribuer des immeubles confisqués aux délinquants par nos juridictions pénales.

C'est précisément ce que nous avions fait ensemble, monsieur le rapporteur, lors d'un déplacement mémorable à Coudekerque-Branche en janvier 2023, afin de remettre les clés du premier immeuble saisi par la justice à l'association Habitat et Humanisme.

À mon sens, cette pratique incarne l'idée même de justice. C'est en mettant en œuvre ce type d'actions, fermes, efficaces mais justes que nous retisserons un lien de confiance entre l'institution judiciaire et nos concitoyens.

Nous avons ainsi basculé dans une autre dimension, inspirée par les dispositions italiennes antimafia, qui nous inscrit au plus proche des besoins des communes et des territoires, au bénéfice, plus direct encore, de nos concitoyens.

Trois immeubles ont été affectés socialement en 2022. Une villa confisquée par le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre a été remise à une association chargée de prévenir la récidive en matière de violences conjugales. L'immeuble confisqué par le tribunal correctionnel de Dunkerque, que j'évoquais précédemment, a été remis à une association pour y réaliser des logements sociaux. Un logement, confisqué par le tribunal correctionnel de Montpellier, a été réaffecté pour accueillir des réfugiés ukrainiens.

Un autre progrès permettant la restitution des biens mal acquis aux populations spoliées, a été consacré par la loi de programmation du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Désormais, le produit des biens confisqués dans le cadre des affaires de biens mal acquis par des dirigeants étrangers peut être affecté au financement de l'action de coopération et de développement au profit des populations des pays concernés.

Enfin et surtout, nous avons considérablement renforcé les moyens de l'Agrasc. Ma politique au ministère de la justice est claire : si nous voulons des résultats, il faut y mettre les moyens.

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