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Intervention de Danièle Obono

Réunion du mercredi 22 novembre 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono, rapporteure :

Merci pour vos interventions, qui confirment l'importance et l'intérêt du sujet.

Il ne s'agit ni de faire le procès du numérique, ni de chanter les louanges d'un passé glorieux. Comme je l'ai indiqué au début de mon propos, la numérisation apporte de nombreux avantages et bénéfices pour une majorité de personnes. L'objet de cette proposition de loi n'est pas d'améliorer l'existant, ce dont nous pourrions discuter lors de l'examen des projets de loi budgétaire ou dans les débats consacrés à la cohésion des territoires. Il est d'aborder un sujet identifié comme structurel dans les travaux d'évaluation conduits durant trois ans par la Défenseure des droits et sur lesquels je m'appuie.

Dans son premier rapport, celle-ci dressait un état de lieux et lançait des alertes, confirmées dans son second rapport publié en 2022. Ces éléments sont donc récents. Par ailleurs, même s'il n'est pas cité dans l'exposé des motifs du texte de loi, nous nous sommes aussi appuyés sur le dernier rapport du Conseil d'État, lequel souligne la nécessité d'assurer l'accès de tous les usagers aux services publics par une diversification des canaux et estime qu'il est « indispensable de sortir du 100 % numérique et de remettre de l'humain au contact des usagers ». Compte tenu des problèmes identifiés, il est nécessaire d'opérer non pas une régression, mais une forme de réparation, et d'assurer une garantie. C'est l'objet de ce texte, qui donne de la force à un principe qui paraît évident, mais qui n'est pas respecté et engendre des difficultés pour de nombreuses personnes.

Il ne s'agit pas d'un problème résiduel qui serait résolu par l'extension du champ du numérique et de l'installation d'internet. Le problème n'est pas conjoncturel et il concerne les publics qui, pour différentes raisons, peinent à accéder au numérique et à effectuer des démarches administratives par ce biais. Ce n'est ni une vision réactionnaire et fantasmée du passé, ni une volonté de revenir à l'âge de pierre et à la bougie, ni de l'impressionnisme. Le constat est objectivé. Dans notre pays, des millions de personnes éprouvent des difficultés qui les incitent à ne plus avoir recours à des droits pourtant essentiels.

Le public le plus vulnérable et le plus précaire est celui pour lequel les démarches sont les plus complexes. Les espaces France Services ne peuvent donc pas répondre à leurs demandes. Constater cela ne signifie pas que les conseillers de ce réseau ne font pas du bon travail. Au contraire, celui-ci est très apprécié et ces espaces ont remis de l'humain. Mais, dans un certain nombre de cas, qui ne sont pas insignifiants, ce n'est pas suffisant. Le principe de ces espaces est de garantir la présence de deux personnes pour aider et accompagner les usagers auprès de neuf services publics et opérateurs. Cela montre la difficulté à embrasser les spécificités de chacun des services publics concernés. Les personnels ne sont pas suffisamment formés et le dispositif sera structurellement sous-dimensionné, puisqu'il ne compense pas les fermetures de postes et de sites. C'est donc une bonne chose que les espaces France Services se développent et soient renforcés, mais cela ne répond que partiellement à la question.

Il ne s'agit pas d'opposer les centres urbains et les campagnes ou les territoires périphériques. La fracture numérique est partout, y compris dans ma circonscription du 18e arrondissement de Paris, où les services publics sont censés être accessibles, mais où des dizaines de personnes n'y ont pas accès. Il ne s'agit pas non plus seulement d'un problème d'alphabétisation au numérique. Les particularités des procédures administratives peuvent poser des difficultés même à des personnes qui se débrouillent bien avec internet. L'accompagnement au numérique ne suffit donc pas.

Mon rapport insiste aussi sur l'autre côté du guichet. Les agents indiquent que la numérisation n'a pas permis d'alléger leur charge de travail. Il faudrait l'évaluer plus précisément, mais la dématérialisation a plutôt augmenté les flux à traiter, en plus des dossiers à suivre. Plusieurs institutions, et non des moindres puisqu'il s'agit de la Défenseure des droits et du Conseil d'État, font le même constat. Une partie de la population interpelle les pouvoirs publics depuis plusieurs années.

Nous avons la possibilité, en tant que législateur, d'entériner un principe qui ne répondra pas à tous les problèmes de l'illectronisme, de la désertification territoriale et des difficultés sociales, mais qui garantira un accès à la fois numérique et physique à toutes les procédures administratives.

Il n'y a là aucune régression technique ou politique, mais l'ouverture d'un nouveau droit dans l'ère du numérique, qui permettra à l'ensemble de nos concitoyens, où qu'ils vivent et quels que soient leurs moyens économiques et leur capital culturel, d'accéder à leurs droits et de bénéficier des services de l'État. C'est notre responsabilité. Cette proposition consolidera ce qui a été déjà fait et ce qui le sera dans des dispositifs comme le réseau France Services. Aussi avons-nous tout intérêt à aller dans ce sens et à voter en faveur de cette proposition de loi.

Je répondrai à la proposition de Mme Ménard lorsque nous examinerons son amendement.

Nous discuterons plus avant de l'accueil des étrangers, y compris dans le débat autour du projet de loi « immigration », parce que c'est dans ce secteur que ces politiques ont été expérimentées avant d'être généralisées aux autres publics.

Je le répète, il convient d'agir dans l'intérêt général de la population et de répondre à des situations qui peuvent s'avérer dramatiques pour nos concitoyens, notamment les plus précaires et les plus vulnérables. C'est le propre de ce type de proposition de loi de se centrer sur les situations difficiles. Il est de notre responsabilité d'y répondre. Tout n'est pas à jeter dans le numérique, au contraire. Mais le tout-numérique ne peut pas être l'horizon que nous défendons. Ce n'est pas notre vision des services publics et, de manière générale, de la société dans laquelle nous vivons. Voilà pourquoi cette proposition de loi peut et devrait être votée par tous et toutes.

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