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Intervention de Aurélien Saintoul

Réunion du mercredi 22 novembre 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Saintoul :

Il n'y a pas de République sans service public. Ce n'est pas un slogan, mais un principe simple et essentiel. Bien qu'au cœur des préoccupations de nos concitoyennes et de nos concitoyens, il est mis à mal par la politique de dématérialisation des services publics adoptée par les gouvernements successifs depuis plusieurs années. Cette tendance à la dématérialisation s'est même accélérée avec l'épidémie de covid-19, au moment même où l'isolement des personnes était le plus cruellement ressenti.

L'article 1er de la Constitution consacre la France comme « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». J'insiste sur ce dernier adjectif, car il ne s'agit pas simplement de consacrer un droit formel, mais d'affirmer que les droits doivent être effectifs. Le service public est, précisément, la concrétisation des droits.

Nous sommes égaux en droits. D'aucuns ajouteraient en théorie, mais nous ne vivons pas en théorie. Nous devons être égaux, en fait et à tout le moins, devant nos droits. En tout point du territoire, les citoyens doivent avoir accès à leurs droits. C'est cela, le service public. Mais aujourd'hui, en France, cet accès est synonyme de galère et même de désespoir pour beaucoup d'entre nous. Comment se nourrir quand on n'a plus accès à sa pension de retraite ? Comment se loger quand on n'a plus accès à ses aides au logement ? Comment trouver un emploi quand on ne peut plus renouveler son titre de séjour ? Comment rester digne quand l'accès aux droits est abîmé et quand le seul interlocuteur qui reste est un formulaire en ligne ?

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Entre 2014 et en 2018, les sites physiques des opérateurs de la protection sociale ont été réduits de 27 % pour la branche famille, de 39 % pour la branche maladie et de 50 % pour la branche vieillesse. Les représentants des agents de ces organismes sonnent l'alarme depuis longtemps, et décrivent le même procédé : on coupe dans les effectifs, on mutualise les services, on met les agents en échec, on sous-traite. Pas besoin d'être devin pour comprendre que la dernière étape est la privatisation pure et simple, par l'externalisation du service. « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. »

La qualité et la rapidité de service qu'offre la dématérialisation ne sont qu'un prétexte à l'importation de la logique marchande dans nos services publics, laquelle est par essence le contraire du principe d'égalité. Elle distingue les usagers selon leurs ressources, leur lieu de vie et leur agenda. Elle engendre aussi de la souffrance chez les salariés et les fonctionnaires de ces organismes, à qui l'on dit de faire le contraire de ce pour quoi ils sont salariés. Ce ne sont pas les maisons France Services actuelles qui pourront, à elles seules, résoudre ces problèmes, pour les raisons énoncées par Danièle Obono, mais aussi parce qu'il s'agit d'une sous-traitance du service public à peine déguisée. Certaines maisons sont pilotées par des associations et par des collectivités locales et d'autres, par des sociétés privées comme La Poste, elle-même privatisée naguère. La manœuvre est grossière ! Certains employés des maisons France Services ont, certes, le statut d'agent de la fonction publique territoriale, mais ils sont le plus souvent salariés de droit privé. On organise la rupture d'égalité entre les agents, comme on prend acte du renoncement à servir le public à égalité.

Par cette proposition de loi, dont le principe est validé par plus de 90 % de la population, nous proposons de revenir au fondement de la République sociale : garantir un accueil physique obligatoire pour tous les services publics, une présence humaine à la hauteur des besoins pour tous les guichets – assurance vieillesse, allocations familiales, assurance maladie, préfecture, finances publiques et bien d'autres. En juin 2022, le Conseil d'État a tranché en faveur de cette idée s'agissant des préfectures. Bien sûr, l'usage de télé-services par l'administration est légal. Toutefois, il ne peut être obligatoire. Une solution de substitution effective et crédible doit toujours être proposée. Cette décision a été confirmée depuis par d'autres jugements, mais n'est toujours pas respectée partout – raison pour laquelle le législateur doit assumer sa responsabilité.

La réouverture des accueils physiques est seule à même de garantir un service public de qualité. Comme l'a martelé la Défenseure des droits, le seul moyen de respecter les droits des usagers est de garantir « principe de double entrée dans les services publics » soit, tout simplement, la réouverture des accueils physiques.

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