Il est ironique, sinon cocasse, d'examiner un texte de la majorité visant à redorer le blason d'un prétendu principe d'égalité au fondement du pacte républicain, au moment où l'actualité est consacrée à un projet de loi qui tend à institutionnaliser la suspicion à l'égard des personnes immigrées et à normaliser la traque des étrangers. On ne peut, d'une main, passer la corde au cou de ceux qui sont nés au mauvais endroit, au mauvais moment, avec la mauvaise couleur de peau, et, de l'autre, caresser dans le sens du poil la France multiculturelle. En 2022, plus de 48 % des immigrés vivant en France étaient nés en Afrique ; selon une enquête du Conseil représentatif des associations noires (Cran) menée en France hexagonale, 91 % des personnes s'identifiant comme noires disent être victimes de discrimination raciale dans leur vie quotidienne. En 2019-2020, près de 20 % de la population hexagonale déclarait avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années ; on monte à 24 % chez les immigrés et à 29 % chez les natifs d'outre-mer – cherchez l'erreur. Tocqueville écrivait que l'esclavage aboli, le préjugé de couleur demeurait : rien n'est plus vrai. Or la présentation à la queue leu leu de projets de lois relatifs à une immigration qui n'est ni massive, ni opportuniste, ni même souhaitée par ceux qui n'ont d'autre choix que de fuir contribue puissamment à la prolifération des stéréotypes raciaux.
Beaucoup estiment qu'il ne reste rien des anciennes structures coloniales et qu'il ne peut y avoir de racisme institutionnel, puisque les lois de la République sont les mêmes pour tous. Cette proposition de loi a au moins le mérite de soulever les cache-misère d'une France qui se dit daltonienne, mais qui ne trompe plus personne sur la hiérarchisation systématique des relations humaines, fondée sur des critères tout sauf universalistes. Oui, il faut reconnaître que le passé esclavagiste et colonial persiste dans nos structures contemporaines. Non, ce texte, même s'il va dans le bon sens, ne permettra pas de limiter l'influence des stéréotypes négatifs, que ce soit sur l'employeur, le bailleur, les forces de l'ordre ou le citoyen lambda.
Les limites des testings ont déjà été démontrées. Tout d'abord, ils ne permettent pas d'identifier les causes des comportements discriminatoires. Comment concevoir des dispositifs appropriés pour lutter contre les discriminations, si l'on en ignore les fondements ? De même, le name and shame, ou mise au pilori, peut se révéler efficace à court terme, mais non pour obtenir des changements structurels, ni pour lutter contre le renoncement. Dans l'Hexagone, moins d'un tiers des personnes qui se disent victimes de discrimination raciale portent plainte, moins de 10 % dans les territoires ultramarins. En 2020, le taux de relaxe des affaires à caractère raciste était deux fois supérieur à la moyenne des affaires d'atteinte à la personne. En 2023, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a insisté sur la nécessité d'approfondir la formation des magistrats et des services d'enquêtes aux infractions à caractère raciste, afin d'améliorer le taux de réponse pénale du contentieux afférent.
Sur cette proposition de loi, je partage l'avis de la Défenseure des droits : des objectifs louables mais un manque d'ambition patent. En l'état actuel du texte, nous nous abstiendrons.