Un rapport de la Cour des comptes nous a récemment alertés sur le fait que notre système d'information sur les prélèvements d'eau actuels ne permettait pas d'orienter correctement les décisions publiques. Autrement dit, nous ne sommes pas capables de décider si de grands ouvrages n'auront pas de répercussions trop négatives à l'avenir.
La multiplication des conflits sur les usages de l'eau nous donne une preuve supplémentaire qu'il est nécessaire de prendre le temps. À Caussade, dans le Lot-et-Garonne, une retenue gigantesque représentant l'équivalent de 245 piscines olympiques a été construite illégalement et sert toujours à irriguer de nouvelles surfaces agricoles. Au Testet, dans le Tarn, un projet de retenue concerne une zone humide située près de la tristement célèbre forêt de Sivens. À La Clusaz, en Haute-Savoie, un projet de retenue collinaire est défendu par les exploitants du domaine skiable qui veulent pouvoir alimenter leurs canons à neige grâce à une cinquième bassine.
Les macronistes, Les Républicains et le Rassemblement national ont refusé le débat en commission, préférant imposer le silence. Invoquant la confiance en d'obscurs cadres locaux de gouvernance, tout en arrosant les préfets pour encourager le déploiement national des bassines – comme on l'a découvert ce matin –, ils ont préféré déposer un unique amendement, tendant à supprimer le moratoire. Circulez, il n'y a rien à voir : pas de remise en cause d'un système agricole délétère, pas de débat possible sur le partage de l'eau.
Derrière les éléments de langage, j'ai pourtant entendu des doutes, qui sont partagés, et même majoritaires : les doutes des 70 % des Français qui soutiennent notre proposition de moratoire, les doutes des scientifiques et des agriculteurs eux-mêmes. Pourtant, certains vont jusqu'à tenter de faire croire que notre proposition de loi mettrait l'agriculture en péril. Un regard lucide sur la situation force cependant à un autre constat : les souffrances des agriculteurs sont dues à l'entêtement à laisser perdurer un modèle mortifère, qui leur impose une charge de travail de plus en plus importante, pour un revenu minime et un surendettement chronique, tout en les soumettant aux effets des produits chimiques et aux travaux pénibles.
Ce modèle des prélèvements d'eau à outrance – au profit de quelques-uns et au détriment d'une majorité – empêche l'évolution vers des pratiques au service de la terre, de celles et ceux qui en vivent, et de celles et ceux qu'elle nourrit. Ceux qui soutiennent les bassines ne peuvent pas feindre de l'ignorer ! Ils le font, vous le faites, pour donner à 5 % des agriculteurs, ceux des territoires où les bassines sont creusées, un droit dérogatoire et prioritaire à l'accès à la ressource en eau, au détriment de tous les autres !
J'aurais aimé que l'on puisse avoir des débats plus constructifs dans cet hémicycle. J'espère toujours réussir à convaincre certains de voter en leur âme et conscience, et non par soumission aux fantasmes désastreux de l'agrobusiness. Partout dans le pays, le diagnostic est sans appel : les mégabassines ne sont pas la solution face à la raréfaction de la ressource en eau. On nous vend des réserves dites de substitution pour nous faire plonger directement dans une mal-adaptation.
Les bassines autorisent à pomper plus et dérèglent le cycle de l'eau ; c'est le sens des conclusions d'une expertise scientifique collective portant sur les effets cumulés de ces retenues artificielles. Pire encore, on n'aura de toute façon pas assez d'eau pour les remplir. C'est déjà le cas en Espagne – comme je l'ai dit – et les études nous l'annoncent aussi pour le Poitou. Des hectares de bâches et de tuyaux : autant d'investissements qui enferment les agriculteurs dans un modèle qui ne survivra pas aux prochains hivers ! Nous sommes dans le mensonge et dans l'obscurantisme funeste.
Ces ouvrages non durables sont construits – au service de quelques-uns – avec votre argent, notre argent : 70 % de fonds publics en moyenne. Par exemple, pour les seize ouvrages du bassin de la Sèvre niortaise, cela représente 74 millions d'euros d'aides publiques.