Après l'adoption à l'unanimité, en juillet dernier, de la loi relative à la restitution des biens culturels juifs spoliés, la présente proposition de loi ouvre un nouveau chapitre de la restitution des biens culturels, portant cette fois sur la question des restes humains détenus dans nos collections. Le Sénat l'a adoptée en première lecture le 13 juin dernier, à l'unanimité. Je tiens à saluer ici la ténacité de Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice, qui a fait de ces enjeux de restitution l'un des grands combats de son engagement politique.
Cette proposition de loi répond à une attente réelle exprimée par plusieurs États étrangers, qui ont présenté, il y a de nombreuses années parfois, des demandes de restitution de restes humains appartenant à nos collections publiques. Je salue à cet égard la présence de Mme l'ambassadrice d'Australie dans les tribunes. Il s'agit donc de satisfaire ces demandes et de renforcer des partenariats culturels et scientifiques déjà engagés. Il s'agit aussi, tout en prenant garde aux anathèmes rétrospectifs, à l'anachronisme et à l'ethnocentrisme, de procéder à un acte de réconciliation, un acte mémoriel qui reconnaît non seulement le droit des peuples à construire leur souveraineté, mais aussi une histoire scientifique ou coloniale qui fut marquée par des formes de violence, réelle ou symbolique.
Selon le conservateur du patrimoine Michel Van Praët, plusieurs centaines de milliers de restes humains figurent à l'inventaire de musées, d'universités ou d'établissements publics. Parmi ces restes, quelques milliers seraient d'origine étrangère, la plupart ayant été collectés au cours d'expéditions ou de conquêtes coloniales. La documentation scientifique qui s'y rapporte souffre de lacunes et, quelquefois, d'erreurs. Qui plus est, ces restes ont parfois fait l'objet de déplacements erratiques entre différents lieux de conservation, ce qui a bien souvent brouillé les pistes quant à leur origine.
La présence de ces restes dans nos collections publiques soulève depuis plusieurs années et de façon croissante la question du respect de la dignité humaine des individus dont ils proviennent et du soin apporté à leur conservation. Si les conditions de conservation se sont améliorées, elles ont longtemps été déplorables, comme l'a relevé, dès 2007, l'historienne Laure Cadot. Pourtant, ces restes sont dépositaires d'un fragment de l'espèce humaine et sont des témoins de son histoire. En cela, ils sont le patrimoine de notre humanité et méritent le plus grand respect.
Plus largement, nous devons nous interroger sur le statut de ce que la recherche archéologique nomme les « vestiges anthropo-biologiques », comme cela m'est apparu lors des auditions menées. À ce stade éclaté entre plusieurs codes – code civil, code du patrimoine, législation funéraire –, le statut des restes humains mériterait d'être unifié et clarifié. Cela faciliterait le travail des professionnels qui les manipulent et les protégerait contre toute immixtion, notamment de la sphère religieuse. Cela autoriserait en outre les descendants des personnes à qui ils ont appartenu autrefois d'y avoir un certain accès, de façon encadrée.
La proposition de loi se compose de deux articles. Le premier établit une procédure permettant de déroger à l'inaliénabilité des biens appartenant aux collections publiques afin de pouvoir répondre aux demandes étrangères de restitution. La proposition de loi se concentre en effet sur les demandes émanant d'États étrangers, lesquels pourront agir au nom d'un groupe humain présent sur leur territoire et dont la culture ou les traditions sont toujours actives.
Le texte issu du Sénat autorisait la sortie de restes humains des collections publiques « à des fins funéraires », en vue de l'accomplissement d'un hommage ou d'un culte rendu aux morts par les communautés d'origine. Je tiens à insister sur le sens très large que recouvre la notion de « fins funéraires » : il s'agit non seulement d'une perspective d'inhumation ou de crémation, mais aussi de toute cérémonie visant à célébrer les personnes dont sont issus les restes ou à perpétuer le lien entre les vivants et les morts.
Afin de s'assurer du plein respect, dans toutes leurs manifestations, des cultures des peuples concernés – sans préjuger du résultat des débats qui peuvent animer les communautés elles-mêmes, par exemple en Oklahoma, à Hawaï ou au Congo, quant au sort à réserver aux restes de leurs ancêtres – et pour tenir compte de l'observation de Klara Boyer-Rossol, historienne de l'Afrique, selon laquelle « les communautés devraient avoir le droit de choisir » dès lors que « les usages funéraires, cultuels et sociaux sont infinis », les commissaires aux affaires culturelles ont souhaité adjoindre, à ces fins funéraires, des fins « mémorielles ». Nous sommes sûrs de couvrir ainsi tous les cas de figure, par exemple les monstrations de reliques, étant entendu que les usages contraires au respect de la dignité humaine demeureront proscrits. Nous intégrons pleinement les deux arguments majeurs en faveur de la restitution, à savoir ses vertus thérapeutiques et ses visées réparatrices.
Dans ce texte, les restitutions sont encadrées par plusieurs conditions cumulatives. D'une part, elles doivent concerner des restes humains d'individus morts après l'an 1500, l'expérience étrangère ayant montré que les restitutions concernent rarement des cas remontant à plus de 300 ans, même lorsque la limite inscrite dans les textes est supérieure, ce qui est notamment le cas au Royaume-Uni. D'autre part, la collecte des restes doit avoir porté atteinte au principe de dignité humaine ou leur conservation contrevenir au respect de la culture du groupe d'origine auquel les restes humains peuvent être reliés.
L'article 1er ne se borne pas à énoncer les conditions dans lesquelles une restitution est possible : il prévoit également une procédure visant à identifier les restes humains ou leur lien avec le groupe humain demandeur. Arrêtons-nous un instant sur l'idée d'identification : il ne saurait être question de parvenir à déterminer l'identité exacte ou nominative de l'individu dont proviennent les restes ; la notion d'identification est ici entendue de manière bien plus large, comme un lien suffisamment probant avec un groupe humain défini.
La proposition de loi prévoit qu'un travail scientifique sera mené pour établir cette identité. Il devra être conduit par un comité d'experts composé de façon concertée avec l'État demandeur, en vue d'établir une filiation entre les restes humains et le groupe humain dont il est présumé provenir. Ce travail conjoint sera le fondement de la décision de restitution, qui sera rendue par le Premier ministre par un décret en Conseil d'État.
Le caractère très solennel de cette décision ainsi que la scientificité des bases qui l'auront motivée suffiront, je le pense, à assurer que l'inaliénabilité des collections publiques ne soit surmontée qu'avec les plus hautes garanties. En effet, ce principe est fondamental pour la conservation de nos collections. Il s'agit ici non pas de renier son caractère essentiel, mais de lui apporter une exception, limitée par l'exigence du respect de la dignité humaine. Il s'agit simplement de « faire respirer les collections », pour reprendre l'expression de Jacques Rigaud.
La transparence entourant la procédure sera assurée par la remise d'un rapport annuel du Gouvernement au Parlement, faisant l'état des lieux des restitutions demandées et opérées.
La question de la restitution des restes ultramarins mérite à elle seule un second texte législatif. C'est pourquoi l'article 2 de la proposition de loi prévoit que le Gouvernement présente, dans un délai d'un an, des solutions spécifiques et adaptées. Je partage l'opinion selon laquelle une proposition de loi créant une procédure interétatique ne saurait être le cadre de résolution adéquat pour un sujet touchant notre communauté nationale. Cela ne signifie pas, j'y insiste, que celui-ci soit de moindre importance, mais précisément qu'il justifie que lui soit accordée toute l'attention qu'il mérite.
La restitution des restes ultramarins aux groupes humains d'origine doit avoir lieu. Que cela passe par un véhicule législatif ou par d'autres moyens, c'est une question de reconnaissance importante pour la cohésion nationale, qui participe d'un indispensable travail de mémoire commun. Je connais l'engagement de la ministre de la culture et du ministre délégué chargé des outre-mer à ce sujet, ainsi que leur volonté d'avancer. L'article 2 ne constitue qu'un premier pas nécessaire, qui devra mener à une résolution propre – j'y serai personnellement très attentif.
Je rappelle la lente évolution des mentalités sur ces questions et le chemin parcouru depuis la restitution à l'Afrique du Sud, en 2002, des restes de Saartjie Baartman. Si la recherche scientifique est indispensable, elle doit nécessairement aller de pair avec le respect de la dignité humaine. Dès lors qu'il est accompagné des moyens nécessaires à de réelles recherches de provenance, ce texte contribuera, j'en suis convaincu, à faire un pas de plus en direction d'une conservation plus conforme à l'éthique de nos collections publiques. Appliqué dans un esprit d'ouverture, il permettra, à la faveur d'une négociation entre intérêt scientifique, revendication politique et souci éthique, de parvenir à un équilibre savant entre le ressenti de la mémoire et le recul de l'histoire – entre science et conscience, aurait dit Rabelais.
Derrière les restes humains dont nous parlons se cachent des individus, des hommes et des femmes qui ont souvent connu des destins tragiques : certains sont morts loin de leur terre et de leur communauté ; d'autres ont été profanés par le scalpel des anatomistes ou exhumés par les explorateurs. Je propose que, l'espace d'un instant, nous nous identifiions à eux : vibrons des mêmes sentiments moraux qui les assaillirent, du même désespoir, de la même humiliation parfois ; souffrons avec eux et leur communauté. Ce faisant, d'une certaine manière, mesurons l'importance de cette loi : nous rendons leur dignité à des femmes et à des hommes ; nous les rendons à leur terre ; nous les rendons aux leurs. Et même, pour certaines cultures, grâce aux rites ancestraux qui n'ont pu être accomplis jusqu'à présent, nous leur redonnerons vie.