Je me rendrai en Guyane le week-end prochain pour les assises de la sécurité. Ce territoire est touché de manière endémique par une très forte délinquance, nourrie par la pauvreté et le trafic de drogue. Les effectifs ont déjà été augmentés de façon très importante, quatre escadrons de gendarmerie mobile étant désormais à demeure en Guyane : aucun territoire, à l'exception de Mayotte, ne connaît un tel déploiement policier.
Les réponses doivent être apportées à l'échelon interministériel. Ainsi, l'opération Harpie associe gendarmerie et forces armées dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles. L'organisation de ces opérations est un véritable enjeu car elles mobilisent beaucoup de moyens. De plus, l'aéroport de Guyane pose un problème spécifique car il est le lieu d'entrée de la drogue sur le territoire européen, au sens large. Elle est convoyée par des mules qui prennent des risques incroyables en ingurgitant un ou deux kilos de cocaïne – il s'agit souvent de mères seules et d'étrangers en situation irrégulière, exploités par les trafiquants. Nous aurons l'occasion de répondre à vos interrogations dans une semaine. Je ne sais pas si j'aurai la possibilité de me rendre à Saint-Laurent-du-Maroni car je dois ensuite gagner la Martinique mais, pour y être allé quatre fois, je pense comme vous que cette ville concentre, avec Cayenne, les difficultés les plus importantes.
Monsieur Lucas, je ne pense pas que vous ayez sauvé la République, même si vous semblez en être convaincu. Dans ma propre élection législative, il se trouve que le Rassemblement national a voté avec La France insoumise… Je ne vous ai pas fait de leçon de morale, essayez d'éviter d'en faire.
Quant à votre présentation de ce qui se passe à Dunkerque, elle est contraire à la vérité. Nous mentirions si nous affirmions que la solution n'est que française. Si les migrants traversent l'Afrique et l'Asie, ce n'est pas pour admirer la beauté des paysages de la Côte d'Opale mais pour se rendre en Angleterre, où les attendent leurs familles – c'était le cas lors du drame survenu l'hiver dernier dans la Manche, qui s'est soldé par la mort de vingt-sept personnes. C'est pour cela que, alors que 60 % des migrants sont éligibles à l'asile, seuls 4 % déposent une demande en France, malgré tous les efforts des services du ministère de l'Intérieur pour les en convaincre.
Pourtant, 11 000 logements sont prêts à les accueillir dans la région des Hauts-de-France, avec l'eau, l'électricité, le chauffage, des vêtements et un accompagnement social. Malheureusement, des organisations, que vous allez l'air de soutenir, s'efforcent de soustraire les migrants à ces opérations de mise à l'abri, qui ne donnent lieu à aucun contrôle d'identité et ne visent qu'à les répartir dans d'autres régions. C'est ainsi que de nombreux migrants, parfois accompagnés de bébés, se retrouvent dans des camps où règne une grande violence, exploités par des passeurs, sans accès à l'eau, à l'alimentation ou au chauffage. Cela donne une situation très difficile pour les migrants bien sûr, mais aussi pour la population du Nord-Pas-de-Calais. Cette situation dure depuis trente ans, même s'il y a aujourd'hui quinze fois moins de migrants qu'il y a six ans au moment du démantèlement salutaire de la jungle de Calais par Bernard Cazeneuve.
Par ailleurs, le code du travail britannique encourage l'immigration irrégulière. En dépit des annonces de son gouvernement, rien n'a changé dans la politique migratoire du Royaume-Uni. M. Johnson a fait croire que sortir de l'Europe permettrait de mettre fin à l'immigration mais il n'en a évidemment jamais été question. Nous avons des difficultés à convaincre nos amis britanniques qu'il existe des flux légaux d'immigration. La Grande-Bretagne, qui compte environ 1 million d'étrangers en situation irrégulière, ne procède qu'à 3 000 expulsions par an. Certains vantent son modèle, mais personne n'a jamais vu sa politique de refoulement des migrants au Rwanda se concrétiser – comme de juste, s'agissant d'un dispositif parfaitement contraire aux obligations internationales de nos pays ! Les Britanniques sont obligés de constater que lorsque des migrants arrivent sur leur sol, ils ont quasiment 100 % de chance de rester.
Ne vous trompez pas d'adversaire : l'inhumanité est le fait des passeurs, non des forces de l'ordre et des préfets. Les camps, c'est le contraire de l'humanité. Nos opérations de mise à l'abri ont pour but d'emmener ces personnes dans des lieux de résidence où elles peuvent déposer leurs papiers, soigner leurs enfants, vivre. S'y opposer, ce n'est rien d'autre qu'alimenter l'exploitation des êtres humains par les passeurs.
La question des moyens supplémentaires pour l'investigation est très importante. En tant qu'élu, je sais qu'on manque toujours d'effectifs mais en tant que ministre de l'Intérieur, je ne peux affecter dans des commissariats ou des services de police que des gens qui ont fait l'école de police et qui se sont portés candidats. Les postes sont plus faciles à pourvoir en ce qui concerne les gendarmes car ils ont un statut militaire, même s'il en manque tout de même dans certains territoires, par exemple à la brigade de Mamoudzou.
La réforme de la police nationale que nous proposons vise notamment à permettre au ministère de mieux piloter ses effectifs. Il manque environ 5 000 officiers de police judiciaire sur un total souhaitable de 22 000. De plus, une partie des OPJ ne sont pas affectés à des enquêtes judiciaires, par exemple lorsqu'ils travaillent dans le renseignement territorial. Nous avons donc retiré les primes qu'ils percevaient dans ce cas pour doubler celles des policiers qui acceptent d'être affectés à des enquêtes. Par ailleurs, la simplification de la procédure pénale est également importante pour leur travail ; c'est pourquoi la LOPMI prévoit l'intervention d'assistants d'enquête.
C'est aussi une question d'évolution de carrière : dans certains postes, il arrive qu'un commissariat ne donne pas de promotion à un OPJ par crainte qu'il ne soit pas remplacé, du fait du manque d'effectifs. Cela se sait dans les services, et dissuade de choisir ces postes. Plus les effectifs seront élevés, plus on parviendra à garantir des promotions – et d'autant plus en mettant fin à l'organisation cloisonnée que j'évoquais tout à l'heure. Dans la réforme, l'ensemble de l'investigation, du commissariat de secteur aux grands offices financiers ou criminels, sera rassemblé dans une même direction nationale de la police judiciaire.
Dans la loi précédente, le Gouvernement avait fait adopter un amendement portant la formation des policiers et des gendarmes à douze mois, au lieu de huit. Le module OPJ figurera dans ces quatre mois supplémentaires, sous réserve d'une disposition législative pour supprimer le délai de trois ans qui existe entre la sortie de l'école de police et la présentation du concours d'OPJ, ce qui me semble une règle absurde. Il est possible que les deux tiers des candidats qui se présenteront dès la sortie de l'école échouent au concours – et alors ? Ils auront du moins reçu une formation juridique.
Le concours reste inchangé, sous la présidence des magistrats. Ceux qui l'auront réussi pourront être affectés dans les commissariats à des postes qui requièrent une qualification judiciaire. Je ne peux pas vous donner de chiffres exacts car les ouvertures de postes dépendent de la loi de l'offre et de la demande, mais parmi les quelque 1 500 policiers de sécurité publique qui seront nommés dans les commissariats partout en France à leur sortie de l'école, certains auront déjà la qualification d'OPJ, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
La question est cruciale car plus on fait d'enquêtes, plus on interpelle de personnes sur la voie publique, plus on a besoin d'enquêteurs pour présenter ces personnes aux magistrats. Une bonne procédure judiciaire est essentielle à une bonne condamnation pénale. Je le dis aux policiers et aux gendarmes qui s'étonnent de certaines suites pénales données à leurs enquêtes, alors que celles-ci résultent d'un défaut de procédure de leur fait. Il est normal que, dans une république, on condamne des personnes selon une bonne procédure.
J'espère vous avoir convaincu que la réforme améliorerait l'investigation.
Pour ce qui concerne les pièces d'identité, les Français n'ont pas renouvelé leurs titres pendant le covid parce qu'ils ne bougeaient pas de chez eux et que les services municipaux et les préfectures étaient fermés. Sur une carte d'identité ou un passeport valables dix ans, un an et demi ou deux ans ont été perdus et, la date d'un concours, d'un examen, du permis de conduire ou d'un voyage approchant, beaucoup se sont aperçus que leur pièce d'identité ou leur passeport n'était plus valable.
Des erreurs ont été commises par l'administration et les collectivités locales, mais cet embouteillage causé par les demandes des personnes est une des explications, notamment à l'approche de l'été 2022.
L'administration n'avait pas assez anticipé la difficulté. En débloquant 400 postes supplémentaires pour l'Agence nationale des titres sécurisés, nous sommes passés de 100 jours d'attente en juin 2022 à 38 aujourd'hui. Avant la crise, ce délai était de 30 jours. Nous sommes donc presque revenus à la normale, sauf dans quelques territoires où le délai d'attente est plus long. D'ailleurs, les communes n'ont pas réclamé toutes les machines de prise de rendez-vous dont nous disposons. Tournez-vous vers vos préfets : ils peuvent débloquer certaines situations.
Certaines personnes ont aussi pris plusieurs rendez-vous, dans des communes ou des départements différents, créant une véritable thrombose du système. Nous en avons tiré les conclusions en décidant de créer un fichier unique de prise des rendez-vous.
Enfin, une partie des effectifs était encore en télétravail, ce qui n'aidait pas à répondre aux demandes. Nous avons introduit certaines facilités, par exemple pour les étudiants, en autorisant une pièce d'identité périmée, mais cela n'est pas satisfaisant.
Monsieur Gillet, vous faites une présentation bien noire de votre territoire, le Gard. Vous me reprochez de ne pas vous donner les chiffres que vous me demandez, tout en disant que mes chiffres sont toujours faussés. J'y vais quand même : les effectifs nets actifs des commissariats de votre département sont passés de 210 en 2017 à 312 en 2022. Lors du précédent quinquennat, les vols violents ont diminué de 43 %, les vols de véhicules de 38 % et les cambriolages de 34 %. Quinze tonnes de cannabis ont été saisies dans le département, qui est un passage entre l'Espagne et la France – non seulement la zone sud, mais aussi l'Île-de-France. Les violences faites aux personnes ont augmenté, comme partout dans le territoire national, comme je l'ai dit. Et vous n'avez pas eu d'autres CRS car la précédente hausse d'effectifs de police avait été considérable, équivalente à celle de Mayotte.
Étant venu trois fois à Nîmes et ayant participé à plusieurs tournées de la police nationale, je connais bien ses difficultés : ce sont celles de l'arrière-pays marseillais. L'augmentation des violences faites aux personnes est due à la hausse des règlements de compte, à la suite de la multiplication des procédures judiciaires et des interpellations effectuées – +35 % pour les trafiquants de drogue dans les deux dernières années.
La police et la justice font donc leur travail, dans des conditions difficiles. Vous avez raison, il y a une bataille à gagner ici pour la République, notamment du fait de la situation de Marseille. Comme nous affectons énormément de moyens à cette ville, nous parvenons à y faire reculer les trafics de drogue, surtout dans les quartiers nord, mais les trafiquants déplacent leurs activités ailleurs, notamment dans le Vaucluse et le Gard. J'aurai l'occasion d'en reparler avec vous sur le terrain, si vous le souhaitez. Quoi qu'il en soit, lorsqu'on ajoute plus de 100 policiers nets dans les commissariats d'une ville comme Nîmes, on peut considérer que la République est au rendez-vous.
M. Léaument a évoqué le sentiment de perte de sens qu'éprouvent les pompiers de la Meuse. Il vient du fait que 80 % de leurs interventions concernent la santé ou le secours aux personnes – les « carences ambulancières ». La loi Matras a essayé de résoudre le problème en augmentant les tarifs facturés par les départements à l'assurance maladie, mais cela n'est pas satisfaisant. Dans ma circonscription et dans bien d'autres, les pompiers viennent combler le manque de médecins, d'hôpitaux et de services d'urgences, en milieu rural et parfois urbain. Le travail que réalise le ministre de la santé et de la prévention contre les déserts médicaux et les fermetures d'hôpitaux contribue à résoudre ce problème : plus on aidera la filière santé, moins les pompiers auront à accomplir ce travail qui les conduit à une perte de sens.
Quant au matériel, c'est une compétence du conseil départemental. Si l'on est favorable à la décentralisation, l'on doit accepter que ceux qui ont le pouvoir décident. Vous devrez discuter de ce sujet avec le conseil départemental de la Meuse. Nous sommes toutefois prêts à revoir le financement de son SDIS, qui n'est peut-être pas assez moderne et dynamique.
Vous posez également la question des pompiers suspendus et, plus généralement, des professionnels de santé qui n'ont pas accepté la vaccination. Il reviendra au ministre de la santé et de la prévention d'y répondre, mais je vous assure que nous avons vérifié que tous les professionnels que nous avons fait venir en France, y compris les Polynésiens, étaient vaccinés.
Enfin, 60 % des pompiers professionnels sont aussi volontaires. Le système n'est pas si mauvais, car il permet que le pompier professionnel de Lille habite une caserne rurale, qui ne serait pas tenue sinon. Certains syndicats revendiquent que les pompiers soient tous professionnels, ce que ne partage pas toute la profession car, par nature, ces pompiers coûtent plus cher.
C'est donc une question de financement, et de département. Les petits départements ruraux sont souvent davantage touchés par les feux de forêt et les déserts médicaux. Dans l'Essonne, les pompiers sont financés par la taxe sur les contrats d'assurance mais n'ont pas de feux de forêt ! Dans les mois à venir, il faudra examiner comment aider les départements qui connaissent des déserts médicaux et répondre à l'enjeu du financement.
Monsieur Pauget, le préfet des Alpes-Maritimes informera les communes de la répartition des nouveaux effectifs de police. Tout le monde sera servi. Une CRS supplémentaire de 60 personnes sera effective au 31 octobre ; d'autres, l'année prochaine.
La LOPMI ne contiendra pas de dispositions pour la police municipale. Le Conseil constitutionnel a été clair : nous avons été au maximum des pouvoirs que nous pouvions leur donner. Pour les accroître, il faudrait changer la Constitution ou déléguer la police municipale au procureur de la République pour les actions judiciaires, ce que les maires n'acceptent pas.
La loi pour une sécurité globale préservant les libertés a autorisé les agents des polices municipales à accéder au système d'immatriculation des véhicules, au fichier national des permis de conduire, au système d'information national des fourrières en automobiles et au fichier national unique des cycles identifiés. Leur accès au système de vérification des documents d'identité, au fichier des personnes recherchées et au fichier de déclaration et d'identification de certains engins motorisés, est en train d'être finalisé.
S'agissant de la loi « séparatisme », monsieur Boudié, vous avez raison. Les structures ont trois ans pour passer du régime d'association loi 1901 à une association loi 1905. Je remercie le recteur de la mosquée de Paris, la plus importante de France, d'avoir mené à bien ce changement et d'entrer entièrement dans le cadre républicain, en déclarant, le cas échéant, tous les financements étrangers. C'est le modèle auquel on doit aboutir.
Les préfets rassemblent actuellement les représentants des associations cultuelles régies par la loi de 1901, essentiellement musulmanes et évangélistes, pour expliquer le changement vers le régime d'association loi 1905 et distinguer les activités culturelles et cultuelles. Les juifs et les protestants ont déjà adopté le régime d'association loi 1905 ; les catholiques ont des associations diocésaines équivalentes.
Parmi les 2 600 lieux de culte musulmans que compte la France, une centaine étaient soupçonnés de radicalisation et de séparatisme lorsque je suis devenu ministre de l'Intérieur. Trente structures ont été fermées, notamment grâce à la loi « séparatisme » ; trente autres sont sorties des radars car elles ont changé d'imam, de dirigeants ou de financements, une fois les contrôles effectués. Enfin, une trentaine de lieux sont en cours de contrôle par les services du ministère de l'Intérieur.