L'accès à la formation professionnelle constitue l'une des grandes priorités de l'action de la majorité présidentielle afin que notre pays atteigne le plein emploi. Cette ambition s'était déjà traduite tout au long du précédent quinquennat par des investissements massifs. Ces derniers ont permis une profonde transformation de l'écosystème de la formation professionnelle ; la rénovation du compte personnel de formation (CPF), actée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en fut l'une des composantes.
Le changement d'approche opéré par l'ouverture du parcours d'achat direct, qui permet de mobiliser ses droits de formation sans intermédiaire, a provoqué un engouement spectaculaire. On a ainsi dénombré 517 000 formations en 2019, 984 000 en 2020, 2 millions en 2021. Et d'après les projections, il y en aurait plus de 3 millions fin 2022 !
Mais il y a un revers à tout cela. L'une des conséquences négatives de la montée en puissance du CPF, c'est l'explosion d'actes malhonnêtes, d'opérateurs peu scrupuleux ou, tout simplement, de pratiques commerciales agressives qui tentent de détourner le dispositif. Nous avons tous été victimes de ces campagnes de démarchage massives et abusives qui permettent non seulement la collecte de données personnelles, mais aussi, dans un certain nombre de cas, la captation d'une partie ou de la totalité du CPF.
En un an, les signalements de SMS indésirables ont été multipliés par quatorze ; les déclarations de soupçon liées à une potentielle fraude au CPF ont été multipliées par onze. Tracfin constate que la fraude par détournements financiers atteint 43,2 millions d'euros en 2021, – elle n'était que de 7,8 millions en 2020.
Bref, le phénomène de fraude prend une ampleur chaque jour plus grande.
Avant d'entamer la discussion des articles de ce texte, je veux rappeler que les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs et ont déjà apporté de nombreuses réponses ces dernières années. Les services de l'État traitent tous les signalements de fraude, en lien avec la Caisse des dépôts, afin d'identifier les différents types d'usurpation ou d'arnaque possibles. Des plaintes sont systématiquement déposées et des poursuites judiciaires sont engagées dès lors qu'elles s'avèrent nécessaires. Pour la première fois, il y a deux semaines, à Saint-Omer, un opérateur a été condamné à 3 millions d'euros d'amende, à 3 ans de prison avec sursis et à 10 ans d'interdiction de diriger une entreprise. On voit à quel point les sanctions sont lourdes ; j'espère qu'elles seront de nature à dissuader la plupart des opérateurs peu scrupuleux.
Dans un registre différent, plusieurs mesures ont été prises pour renforcer la sécurité à l'entrée et tout au long du parcours d'achat de formation sur le portail « Mon compte formation ».
Il faut aussi souligner la collaboration de plus en plus régulière et efficace entre les acteurs publics dans le combat contre les pratiques illégales ou abusives. C'est la capacité qu'ont tous les acteurs de travailler ensemble qui donne à cette lutte toute son efficacité. Par exemple, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) du ministère du travail, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l'économie et des finances et la Caisse des dépôts ont engagé, à l'automne 2019, un travail partenarial en vue de définir une stratégie commune dans la lutte contre la fraude.
Autre exemple : la Caisse des dépôts et France compétences partagent régulièrement des informations utiles à l'exercice de leurs missions respectives. La seconde a d'ailleurs engagé un important travail de mise à jour du répertoire spécifique des certifications professionnelles, ce qui a abouti au retrait d'un nombre significatif de formations douteuses disponibles sur la plateforme « Mon compte formation ».
En janvier 2022, une étape importante a été franchie avec l'obligation faite aux organismes de formation présents sur le portail d'obtenir la certification Qualiopi.
Enfin, sur l'initiative de la ministre du travail et du ministre des comptes publics, un comité de pilotage ministériel chargé de lutter contre le démarchage abusif et la fraude au CPF a été créé au début de l'année 2022.
Malgré ces progrès, la fraude et le démarchage abusif au CPF ne cessent de s'amplifier. Il nous a donc semblé indispensable de doter notre arsenal juridique d'outils supplémentaires pour mieux protéger les consommateurs et les organismes de formation vertueux, afin que le développement de leur activité puisse être à la hauteur de la demande.
La présente proposition de loi a pour objet d'interdire le démarchage, la prospection ou encore la captation de données personnelles, en s'adressant directement aux titulaires d'un compte personnel de formation. Je veux l'affirmer et le répéter : il n'est pas question d'interdire aux organismes de bonne foi de faire de la publicité pour les prestations de qualité qu'ils fournissent. L'esprit de ce texte, c'est de trouver un juste équilibre entre la nécessaire lutte contre les fraudes ou abus et la liberté d'entreprendre des organismes de formation. Ces derniers sont un maillon essentiel de la montée en puissance du CPF et de la formation, laquelle est indispensable dans la stratégie du retour à l'emploi du plus grand nombre.
Nous devons revenir aux fondamentaux du CPF, à savoir que c'est au seul titulaire du compte de prendre l'initiative. C'est lui seul qui décide de sa formation ; c'est lui seul qui décide de contacter un opérateur pour commander une formation. Dès lors, les choses apparaissent de façon évidente au législateur. Si, de son propre chef, le titulaire d'un compte personnel de formation sollicite un organisme, et que ce dernier le contacte en retour afin de définir contractuellement les modalités de sa formation, puis lui envoie un devis, cela ne pourra être considéré comme de la prospection commerciale et ne pourra être sanctionné. Je pense que le Gouvernement confirmera ce point de vue, qui devrait rassurer définitivement tous les acteurs de la formation qui pourraient s'inquiéter d'une entrave à leur pratique usuelle et contractuelle.
Cet esprit d'équilibre habitait déjà la proposition de loi déposée en février dernier par Catherine Fabre et ses collègues, dont est largement inspiré le texte que nous examinons cet après-midi. Je veux saluer le travail de notre ancienne collègue et la remercier pour la richesse de l'héritage qu'elle a laissé sur la réflexion autour de la lutte contre la fraude et les abus portant sur le CPF.
Permettez-moi à présent de dire quelques mots du texte dont nous allons débattre.
L'article 1er prohibe tout démarchage ou prospection commerciale des titulaires d'un CPF par téléphone, SMS, courrier électronique ou sur un réseau social, dès lors que cette action aurait pour objet soit de collecter leurs données à caractère personnel, par exemple le montant des droits inscrits sur leur compte, soit de conclure ou de chercher à conclure des contrats portant sur des actions éligibles au dispositif, à l'exception des sollicitations qui interviendraient dans le cadre d'une prestation en cours. La méconnaissance de cette interdiction sera passible d'une amende administrative dont le montant ne pourra excéder 75 000 euros pour une personne physique, ce qui représente un montant relativement rare, et 375 000 euros pour une personne morale.
L'article 2 vise à sécuriser, sur le plan juridique, le partage d'informations entre les autorités qui participent, à un titre ou à un autre, à la lutte contre la fraude au CPF. À cette fin, il autorise notamment la Caisse des dépôts et consignations, France compétences, les services de l'État chargés de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et ceux chargés des contrôles de la formation professionnelle à échanger tous documents et informations détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives. J'indique d'ores et déjà que je suis évidemment favorable aux amendements qui proposent d'étendre la liste des acteurs concernés par le dispositif.
L'article 3, introduit à l'initiative des groupes Renaissance d'une part, et Horizons et apparentés d'autre part, instaure une procédure de référencement, sur la plateforme « Mon compte formation », des personnes qui réalisent des actions de formation afin de garantir la qualité et l'homogénéité des prestations proposées.
Dans un article additionnel, le Gouvernement propose de mieux encadrer le recours à la sous-traitance dans le cadre des formations financées par le CPF. J'y suis favorable, car il est inutile de contrôler les organismes donneurs d'ordre si l'on ne contrôle pas les organismes sous-traitants qui proposent certaines de leurs formations. Il faut mieux encadrer les conditions de recours à la sous-traitance, car de trop nombreux abus qui nuisent à la qualité des formations découlent de ces situations. Je demanderai toutefois au Gouvernement de préciser au maximum les intentions qui sont derrière le renvoi réglementaire que comporte son amendement.
Toutes ces dispositions empreintes de pragmatisme servent le même objectif : mettre fin à des pratiques intolérables qui portent atteinte à la crédibilité d'un outil efficace et qui peuvent nuire à l'efficacité d'un dispositif qui a pris une place essentielle dans le paysage de la formation.
Pour conclure, je forme le vœu que demeure l'unanimité qui s'est dégagée en commission autour du texte et que celui-ci puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible. Nos concitoyens l'attendent et le réclament.