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Intervention de Soumya Bourouaha

Séance en hémicycle du mercredi 4 octobre 2023 à 15h00
Sécuriser et réguler l'espace numérique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSoumya Bourouaha :

Légiférer en matière de numérique est désormais une habitude pour notre assemblée. Nous pourrions regretter cette inflation normative, d'autant qu'elle s'entremêle bien souvent à des directives et des règlements européens, parfois encore au stade de la discussion ; mais les enjeux sont si vastes, les défis si nombreux, la technologie si rapide qu'il n'y a rien d'aberrant à remettre régulièrement sur l'ouvrage notre législation en matière de régulation du numérique. Cependant, un tel constat ne doit pas conduire à la précipitation, tant les lignes de crête que nous avons à emprunter sont périlleuses.

Si les députés du groupe GDR – NUPES partagent bien évidemment l'ambition de protéger nos concitoyens dans l'espace numérique, ils considèrent que sa concrétisation, qui est une nécessité, mérite un examen serein et approfondi. Or le présent projet de loi, très dense et embrassant de nombreuses branches du droit, nous est présenté en urgence, dans des délais particulièrement serrés. Le Conseil d'État a d'ailleurs souligné, dans son avis, les circonstances problématiques dans lesquelles le texte est examiné et qui ne sont « pas de nature à permettre de garantir pleinement [sa] sécurité juridique ». En abordant des sujets aussi variés, qui vont de la pédopornographie aux Jonum en passant par le cloud et la protection des consommateurs, le texte peine à garder un cap clair. Le premier enjeu auquel il fait face est l'articulation de principes d'égale valeur ; ainsi, la protection des enfants et des adolescents sur internet est un impératif, mais elle doit être conciliée avec le droit à la vie privée.

Nous approuvons pleinement la volonté du Gouvernement de restreindre réellement l'exposition des mineurs à la pornographie, en faisant enfin appliquer l'interdiction d'accès aux sites. Nous savons quels dégâts elle produit chez les jeunes, confrontés aux pratiques les plus violentes, les plus sexistes, les plus racistes. Quelle représentation des femmes et du corps de l'autre transmet-elle ? Comment ne pas lutter contre une industrie où le viol est constamment présent ? Le rapport de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, intitulé « Porno : l'enfer du décor », nous a servi de base de travail, et je m'en félicite. Nous soutiendrons l'ensemble des mesures qui en sont issues. Cependant, la vérification de l'âge doit comporter des garanties importantes en matière de droit à la vie privée. Les éditeurs ne doivent pas posséder les données des utilisateurs, et nous plaidons pour une technologie respectant le principe de double anonymat, faisant intervenir un tiers de confiance. Nous ne pouvons vérifier l'âge à n'importe quel prix.

Je souhaite également vous alerter au sujet de l'article 3, qui contourne – ce sont les mots mêmes du ministre délégué – le juge judiciaire. L'alignement sur le régime antiterroriste, rendant possible le retrait de contenus dans des délais très courts et par des autorités administratives, ne constitue pas une réponse adaptée. À force de contourner la justice, nous affaiblissons petit à petit l'État de droit.

Une difficulté similaire apparaît à l'article 6. Là encore, si nous ne pouvons que partager l'objectif consistant à lutter contre les arnaques en ligne, nous refusons d'instaurer la possibilité, pour une autorité administrative, d'imposer le blocage de l'accès à un service de communication au public en ligne, en raison des risques importants que cela implique en matière d'exercice des libertés individuelles. Le blocage d'un site ne devrait pouvoir être autorisé que par un juge judiciaire, afin de vérifier que la demande n'est ni erronée ni abusive eu égard aux libertés fondamentales.

Par ailleurs, nous sommes opposés à l'extension de l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) à certaines infractions au droit de la presse commises en ligne. Nous rappelons que la procédure d'amende forfaitaire, qui permet de prononcer une sanction pénale en l'absence de procès, déroge à plusieurs principes du droit pénal et de la procédure pénale tels que la présomption d'innocence, le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense, l'individualisation des peines, enfin le droit d'accès au juge.

De même, nous nous opposons à l'expérimentation concernant les Jonum, qui reviendrait à ouvrir une brèche importante dans l'interdiction, sauf dérogation, des jeux d'argent et de hasard. Le nombre de joueurs à risque est pourtant estimé à 1,4 million dans notre pays, dont 400 000 à un niveau pathologique. Il y a là un enjeu essentiel de santé publique, totalement absent du texte.

Ainsi, si le projet de loi offre des réponses pertinentes sur des points cruciaux pour la protection des usagers d'internet, nous regrettons qu'il soit trop vaste, présenté dans la précipitation, et qu'il autorise dans plusieurs articles le contournement du juge judiciaire au profit de l'autorité administrative.

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