La commission des affaires européennes s'est saisie pour observation du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. L'échelon européen se révèle plus que jamais pertinent pour lutter contre la toute-puissance des grandes plateformes et remettre de l'ordre dans le far west numérique. Je salue la part prise par la France pour parvenir à deux compromis : l'un sur le règlement DSA, entré en vigueur le 25 août dernier pour les plus grosses plateformes, vise à encadrer leurs activités, en particulier celles des Gafam ; l'autre, sur le règlement DMA, adopté pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des mêmes géants d'internet.
L'Union européenne joue un rôle pionnier pour créer un environnement en ligne qui soit équitable, sûr et responsable ; c'est un motif de satisfaction, une première étape qui nous oblige. Notre rapport pour observation formule une série de recommandations pour améliorer le DSA et le DMA à moyen terme, à l'occasion de leur réexamen, mais également à court terme, au titre de la phase de mise en œuvre qui s'ouvre. J'appelle en particulier la France, avec d'autres partenaires européens, à saisir la Commission européenne pour ouvrir une enquête de marché à l'encontre du réseau X, anciennement Twitter.
La première liste de contrôleurs d'accès soumis au DMA, dévoilée le mois dernier par la Commission, comporte six acteurs qui atteignent les seuils quantitatifs fixés par le texte. Le réseau X n'y figure pas, alors qu'il répond à plusieurs critères qualitatifs, qui peuvent être mobilisés à titre subsidiaire. Attention au risque d'incohérence : Twitter serait une « très grande plateforme en ligne » au sens du DSA, mais pas un « contrôleur d'accès » au sens du DMA.
En décembre 2022, l'Allemagne a appelé à désigner le réseau X comme contrôleur d'accès, initiative demeurée sans succès à ce stade. En commission spéciale, le Gouvernement nous a renvoyés aux enquêtes de marché ouvertes par la Commission européenne, mais d'après nos informations, le réseau X ne serait pas concerné.
La France a insisté pour développer une législation européenne ambitieuse. Assurons-nous, monsieur le ministre délégué, d'être fermes et exigeants dans son application : je sais que je peux compter sur votre engagement.
J'en viens à deux points du texte qui doivent susciter notre vigilance. En premier lieu, la volonté du Gouvernement de prétransposer les textes européens en cours de discussion afin d'aiguillonner les négociations me semble contestable. Il est important que la France fasse valoir ses intérêts – c'est tout l'objet des échanges au sein du Conseil de l'Union. En revanche, la pratique de la prétransposition crée un risque d'incompatibilité « native ». Comme je le disais en commission, à vouloir tordre le bras de ses partenaires, c'est la France qui se retrouve avec le bras tordu ! J'en veux pour preuve l'encadrement des crédits cloud qui figure dans le projet de loi, mais qui a été écarté du compromis trouvé par l'Union sur le Data Act en juin. Une approche européenne aurait permis de sécuriser le dispositif, qui déroge aux principes de libre prestation et à celui du pays d'origine. La scission de l'article 7, décidée par la commission spéciale, n'apporte pas de garanties en la matière.
En second lieu, je m'inquiète du risque que certaines dispositions du projet de loi soient contraires au droit de l'Union. Le Gouvernement propose par exemple de nommer la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) parmi les autorités nationales compétentes chargées de la mise en œuvre du DSA, alors même que le considérant 112 du DSA précise que « [l]es autorités compétentes désignées au titre du présent règlement devraient […] agir en toute indépendance par rapport aux organismes privés et publics, sans obligation ni possibilité de solliciter ou de recevoir des instructions, y compris du gouvernement ». Or vous conviendrez que la DGCCRF est un service de Bercy ; elle agit donc sous l'autorité de son ministre de tutelle. C'est sans doute un point qu'il faudra faire évoluer à l'avenir…
Pour conclure, il est regrettable que le Gouvernement ait engagé la procédure accélérée sur ce texte ; les délais d'examen sont extrêmement courts. Le Parlement devrait de toute évidence adopter le projet de loi en première lecture, avant même que la Commission européenne ait pu présenter ses observations dans le cadre de la procédure de notification prévue par la directive sur le commerce électronique. À quoi cette procédure sert-elle si nous ne prenons pas le temps de l'échange d'informations avec les autorités européennes ? Elle se trouve vidée de sa substance, d'autant que les parlementaires que nous sommes ne sont pas associés aux échanges informels entre le Gouvernement et la Commission.
Voilà, en bref, les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous. Je ne doute pas que les débats à venir, ainsi que les discussions avec la Commission européenne, seront susceptibles de faire évoluer le texte.