Mes chers collègues, nous entamons la dernière ligne droite de nos investigations : nos auditions ont vocation à s'achever avec le mois de septembre. Nos échanges de juin et juillet ainsi que les déplacements du bureau, comme celui d'hier à Sainte-Soline, nous offrent une vision de plus en plus précise des exactions qui ont émaillé le printemps. Je rappelle que nous nous penchons à la fois sur les violences urbaines, essentiellement liées à la contestation de la réforme des retraites, et les violences en milieu rural, davantage corrélées à des revendications environnementales.
Nous allons désormais confronter nos intuitions et nos analyses à la vision des plus hautes autorités de l'État. Nous nous réjouissons, monsieur le garde des Sceaux, de vous accueillir ce matin. Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Puisque nous ne pourrons pas évoquer toutes ses questions de manière exhaustive, je vous invite à nous faire part de vos réponses écrites, ainsi que de toute information que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission, dans la foulée de cette audition.
Une des difficultés les plus fréquemment soulignées, dans la réponse de l'État aux violences commises lors des manifestations, réside dans les injonctions contradictoires auxquelles sont soumis policiers et gendarmes. Les compagnies et escadrons sont déployés pour assurer un maintien de l'ordre, c'est-à-dire une mission de police administrative, visant à la sécurisation des personnes et des biens au cours des rassemblements afin de faire respecter le droit de manifester. Mais dès les premières exactions apparaît un second objectif, de police judiciaire cette fois, consistant à interpeller les auteurs d'infractions et à collecter les preuves dont les tribunaux devront disposer pour entrer en voie de condamnation.
Nos travaux font apparaître combien il est délicat pour les policiers et les gendarmes de remplir l'une et l'autre missions. Le taux élevé de classements sans suite, d'alternatives aux poursuites et de relaxes en est l'illustration. Le maintien de l'ordre suppose la mise à distance ; l'interpellation et la collecte des preuves nécessitent d'aller au contact. C'est antinomique. Comment résoudre cette quadrature du cercle ? Une adaptation de l'amont de la procédure pénale à ces contextes particuliers est-elle en cours, ou sinon vous paraît-elle nécessaire ? Les fiches de liaison utilisées actuellement ne semblent pas pleinement fonctionner, même si elles ont introduit davantage de formalisme dans la procédure.
Par ailleurs, le droit pénal applicable aux manifestations offre un bilan pour le moins contrasté. Certaines innovations récentes fonctionnent, notamment les réquisitions du procureur de la République pour le contrôle de l'accès aux rassemblements. D'autres sont un échec. La peine d'interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique ne semble que très peu appliquée. Quant à l'infraction de dissimulation du visage, l'élément intentionnel est devenu très difficile à établir depuis que la crise sanitaire a légitimé le fait de se masquer en toutes circonstances. Vous paraît-il nécessaire d'adapter le code pénal à ces constats ? Quelles seraient les pistes pertinentes ?
Monsieur le garde des Sceaux, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.