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Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 19 juillet 2023 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Monsieur Coulomme, rien ne va dans votre intervention. Mais chacun est évidemment libre de s'exprimer, et puisque vous avez eu la gentillesse de ne pas publier de tweet pour m'insulter avant que je réagisse à vos propos, je vous réponds bien volontiers.

Je ne suis pas certain que vous soyez le procureur de la République ou le juge d'instruction chargé de qualifier ce qui s'est passé à Nanterre. On peut être choqué, on peut se poser de graves questions, on peut penser que l'intervention policière ou les lois votées ne vont pas dans le bon sens, mais en qualifiant d'assassinat raciste le geste du policier de Nanterre, vous portez un jugement avant que l'affaire ait été jugée. Certes, j'ai moi-même considéré qu'il existait des indices graves et concordants semblant montrer que l'intervention du policier, d'ailleurs mis en examen et placé en détention provisoire, n'était conforme ni au droit ni à la déontologie. Cependant, en le condamnant par avance, sans aucune forme de procès, vous rappelez des périodes de l'histoire qui ne se caractérisent pas par le respect des principes démocratiques. Je suis certain que vous êtes un homme de bien mais, quand on veut apaiser la situation et regarder les choses avec honnêteté, on ne peut pas utiliser les termes que vous avez employés et qui me paraissent tout à fait contraires au minimum d'État de droit que nous attendons.

Vous faites par ailleurs une comparaison étonnante entre ce policier, que vous qualifiez d'assassin, et M. Dettinger, que vous décrivez comme un simple boxeur. En réalité, ce dernier attaquait des policiers : chacun a pu le voir, dans des vidéos, violenter sur les ponts de la Seine des pères et mères de famille qui faisaient leur travail. Votre intervention est donc très partiale : vous n'êtes manifestement pas contre toutes les violences, mais uniquement contre celles venant d'un camp particulier. Ce boxeur n'est pas, comme dans les romans de Jack London, quelqu'un qui voudrait juste travailler pour gagner son steak : il est un agresseur dont les agissements n'ont rien à voir avec la boxe, mais tout à voir avec la délinquance. Vous auriez au moins pu le qualifier comme tel.

Enfin, comme je l'ai déjà expliqué deux fois dans l'hémicycle, ce n'est pas le ministre de l'intérieur qui peut interdire des cagnogttes. Si vous voulez voter une loi pour donner plus de pouvoirs au ministre de l'intérieur, je trouverai que c'est une démarche originale pour des députés de La France insoumise, mais pourquoi pas ? En l'état actuel, une telle décision relève de la justice, et c'est un tribunal judiciaire qui a interdit et saisi l'autre cagnotte que vous avez évoquée. Je ne suis pas juge et, contrairement à vous, je n'ai pas envie de le devenir – je n'ai pas raté ma vocation. De même que la Première ministre, j'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais de cette cagnotte. Du reste, la justice a été saisie : laissez-la faire son travail, dans le cadre des lois de la République !

Je ne peux donc pas partager vos propos, que je trouve très excessifs, pour ne pas dire contraires au droit, s'agissant de la qualification du geste du policier – un geste que nous pouvons tous trouver choquant, comme je me suis permis de le dire moi-même. Cela n'atténue en rien le drame qu'a vécu la famille du jeune Nahel.

Monsieur Terlier, je connais votre attachement à la police nationale et à votre circonscription. Les effectifs de police à Castres sont passés de soixante-sept en 2016 à soixante-seize en 2022. Certes, il manque toujours des policiers dans les commissariats – j'attends le moment où un élu m'enverra une lettre pour déplorer un trop grand nombre de policiers et me conseillera d'en réaffecter dans d'autres communes ! – mais en l'occurrence, ce qui manque, ce sont des officiers de police judiciaire.

Or je ne peux pas en envoyer de force dans des commissariats. Je peux ouvrir des postes, mais pas garantir qu'ils soient pourvus. Les seuls policiers auxquels je peux imposer une affectation sont ceux qui sortent de l'école. Or justement, 60 % des effectifs des promotions ont réussi la première partie du « bloc OPJ », dans le cadre de la réforme que vous avez votée. Je vais donc pouvoir envoyer la toute première promotion de ces OPJ sortant d'école dans des commissariats. Ainsi, j'affecterai sept gardiens de la paix à la police judiciaire de Marseille, ce qu'aucun ministre de l'intérieur n'a jamais pu faire jusqu'à présent.

En outre, il manque structurellement 5 000 OPJ en France : on en compte environ 17 000, sur 22 000 souhaités. Il s'agit en effet d'un concours difficile, lequel nécessite une préparation qui n'est pas évidente lorsqu'on est père ou mère de famille – peut-être faudrait-il accompagner davantage les policiers ayant envie de passer ce concours. Par ailleurs, les enquêtes sont plus complexes et s'accompagnent d'une paperasserie qui décourage parfois les OPJ. Enfin, il est arrivé que ces derniers soient chargés d'autre chose que des enquêtes. Lorsque je suis arrivé au ministère de l'intérieur, j'en ai trouvé dans les renseignements territoriaux ; or les OPJ sont faits pour accomplir un travail de police judiciaire !

Aussi la réforme de la police nationale, très décriée mais en bonne voie, permettra-t-elle d'améliorer l'ensemble de la chaîne d'investigation et, je l'espère, de renforcer considérablement le rôle des OPJ. Alors que les gardiens de la paix choisissant de devenir OPJ avaient jadis moins de possibilités d'avancement que les autres, nous organisons désormais des avancements profilés. La question des horaires et du manque de reconnaissance doit trouver une réponse financière. La prime d'OPJ a ainsi été portée à 1 500 euros annuels : cela reste insuffisant, mais c'est une forte augmentation.

Viendra donc le moment où le ministre de l'intérieur pourra affecter beaucoup plus directement des OPJ dans des commissariats – je parle des prochains ministres, puisque la grandeur de la politique fait que l'on construit des choses qui sont inaugurées par d'autres.

Monsieur Ménagé, je me suis rendu à Montargis avant votre élection, et je reviendrai bien volontiers dans votre beau département du Loiret que je connais un peu. Effectivement, les commerces de votre ville ont été touchés par les émeutes dans des circonstances inacceptables. Les policiers du commissariat de Montargis, au vu de leur nombre, étaient bien incapables de faire face à une telle violence et je tiens à les remercier pour leur travail, qui a été difficile.

Sans vouloir engager une bataille de chiffres, je tiens à compléter ceux que vous avez donnés. Les effectifs du commissariat de Montargis sont passés de soixante-quinze en 2017 à soixante-huit au 1er septembre 2023 : une baisse de sept policiers, ce qui est important, mais très loin des chiffres que vous avez évoqués. Cependant, à Orléans, dans le même département donc, le nombre de gardiens de la paix est passé de 285 à 306. Je ne fais pas de micromanagement : il appartient à la préfète de répartir les effectifs de police comme elle l'entend dans son département. La seule consigne que je donne est qu'il ne doit pas y avoir en France de commissariat comptant moins de policiers qu'il y a cinq ans. À cet égard, la situation de Montargis pose donc problème et il faudra augmenter les effectifs.

Par ailleurs, les circonscriptions de police plus petites, comme Montargis, pâtissent d'un manque d'attractivité. Le problème est le même que pour les OPJ : j'ouvre des postes, mais je ne peux forcer personne à les occuper. Je ne peux qu'envoyer des policiers sortis d'école, et c'est ce que nous allons faire dans un certain nombre de commissariats – je vous anonce que ce sera le cas à Montargis – mais ce n'est pas non plus une solution définitive. En effet, il n'est jamais bon qu'un commissariat compte trop de jeunes gardiens de la paix : il faut des brigadiers, des gradés qui les encadrent. En outre, si leur affectation est considérée comme une punition, les policiers ont envie de partir.

Tout n'est pas de la faute du ministère de l'intérieur, même si ce dernier peut évidemment améliorer un certain nombre de choses. Les collectivités ont aussi un rôle à jouer. Lorsque j'étais maire de Tourcoing, j'offrais aux fonctionnaires de police la gratuité de la cantine pour leurs enfants, une solution de garde quoi qu'il arrive, et je m'arrangeais avec mon office HLM pour proposer un logement aux jeunes policiers qui débutaient. Il conviendrait peut-être d'élaborer collectivement une stratégie de ressources humaines en ce sens.

Bref j'ai bien conscience d'un manque d'effectifs à Montargis – pas à la hauteur de ce que vous évoquez, mais sans doute votre souhait de me voir visiter votre circonscription vous a-t-il poussé à dramatiser la situation.

Monsieur Kerbrat, j'ai moi-même publié l'excellent rapport Vigouroux : vous pouvez le consulter en ce moment même sur le site internet du ministère de l'intérieur. Vous avez parlé de racisme de la police. Or M. Vigouroux écrit noir sur blanc qu'il n'y a pas de racisme systémique dans l'institution policière – c'est dommage de ne pas le dire – mais que certains policiers et gendarmes commettent parfois des actes racistes ou homophobes absolument inacceptables. Le rapport ajoute qu'il y a parfois du racisme au sein même des forces de l'ordre.

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