Chaque année, les navires sillonnent la mer en charriant quelque 1,8 milliard de kilos de produits dangereux et nocifs. Le protocole soumis à notre examen institue un système d'indemnisation à deux niveaux pour couvrir et réparer les accidents en mer impliquant des substances nocives et potentiellement dangereuses, appelées SNPD. Il vise également à couvrir les dommages dus à la pollution, les risques d'incendie et d'explosion, les dommages corporels ainsi que les dommages et pertes sur des biens. L'indemnisation est en premier lieu à la charge du propriétaire du navire en cause, ainsi qu'à l'importateur, ou « réceptionnaire », de SNPD en second lieu. C'est le principe du pollueur-payeur.
La France est directement concernée par cette problématique révélée au grand public en 1999, avec le naufrage du pétrolier Erika et le déversement de plus de 20 000 tonnes de fioul au large des côtes bretonnes. Un nouveau drame n'est pas à exclure, en particulier dans la zone maritime transmanche qui connaît un trafic d'une intensité certaine.
Signée en 1996, la convention SNPD ne fut pas ratifiée, en raison de difficultés techniques. Le protocole de 2010 vise à apporter des solutions, mais le lancement du processus de ratification vient seulement de débuter. Il subsiste des écueils de deux ordres.
En premier lieu, l'une des contraintes d'application qu'entend lever le protocole est la difficulté d'identifier et de remonter la chaîne des responsabilités. L'affaire Erika était une véritable usine à gaz, faisant intervenir un propriétaire apparent – une simple coquille vide enregistrée à Malte –, une société de gestion nautique – basée en Italie –, un affréteur – une société helvético-bahamienne – et un sous-affréteur, le groupe Total SA. Nul doute que les difficultés d'identification des responsables perdureront avec le maintien du système du pavillonnage de complaisance, parfaitement toléré et pratiqué au sein de l'Union européenne, notamment à Chypre et à Malte.
En outre, l'absence de deux des plus gros importateurs de SNPD comme parties à la convention, les États-Unis et la Chine, risque d'amoindrir sa portée et son effectivité. J'ajoute qu'on ne peut s'empêcher de voir, dans ce texte, la contradiction permanente des instances internationales et européennes : d'un côté, les discours et les textes en faveur de l'écologie et de la protection de la planète se multiplient ; de l'autre, les traités de libre-échange qui favorisent mécaniquement les transports maritimes, et donc l'augmentation de la pollution maritime liée à l'utilisation des paquebots ainsi que celle des risques d'accident. Le dernier traité de libre-échange en date fut signé par l'Union européenne avec la Nouvelle-Zélande, située à plus de 24 000 kilomètres des côtes françaises.
En second lieu, cette convention agit a posteriori, en réparant des dommages écologiques déjà causés, plutôt que de les prévenir ; une tâche particulièrement ardue tant que la concurrence internationale et déloyale, sans régulation, continuera de favoriser le dumping social et ses pratiques désastreuses, y compris au niveau des conditions de travail subies par les marins. C'est le cas de certaines compagnies qui agissent entre Calais et Douvres. Sur les navires des compagnies P & O Ferries et Irish Ferries, par exemple, les marins, qui viennent d'États où se pratique le moins-disant social, naviguent régulièrement pendant dix-sept semaines, parfois plus, sans jamais toucher la terre ferme. Ces pratiques, outre qu'elles constituent une concurrence déloyale pour les compagnies et marins français, favorisent fortement le risque d'accident : la compagnie Irish Ferries, qui transporte régulièrement des substances nocives et dangereuses, a connu deux incendies à bord en moins d'un an. Néanmoins, les pratiques de ces compagnies sont parfaitement légales. Pour les contrer, la France et l'Angleterre ont toutes les deux déposé un texte visant à lutter contre le dumping social.
Ces avancées peuvent toutefois être remises en cause par le fonctionnement de Bruxelles et la composition trop hétérogène de l'Union européenne. En effet, puisque Chypre, ou d'autres pays méditerranéens qui utilisent des marins internationaux, peut s'opposer à des normes sociales strictes, la société Irish Ferries a annoncé avoir allumé un contre-feu de lobbying au niveau gouvernemental et au niveau de l'Union européenne. L'avenir des marins indiens, indonésiens et philippins sur le transmanche semble garanti pour un bon moment.
En tout état de cause, malgré des insuffisances que ce protocole seul ne peut pas régler, la convention concourt à la justice et à la protection de l'environnement, comme l'a précisé M. le rapporteur. Ce protocole, finalement, c'est mieux que rien. Le Rassemblement national se prononcera donc en sa faveur.