Chers collègues, c'est avec une émotion certaine que je prends la parole pour vous présenter le texte de compromis auquel sont parvenus le Sénat et l'Assemblée nationale. À chaque étape de son avancement, ce texte aura recueilli l'unanimité, ce qui est le témoignage éclatant de notre volonté commune d'avancer en matière de restitution de biens culturels. Cette volonté est le fruit d'un travail mené en étroite collaboration avec la ministre de la culture, Mme Rima Abdul-Malak, que je remercie à nouveau de s'être saisie rapidement de ce sujet majeur.
Le projet de loi qui sera, je l'espère, définitivement adopté ce jour crée un mécanisme administratif dérogatoire à un principe juridique vieux de plusieurs siècles, celui de l'inaliénabilité des biens des collections publiques. La création d'une dérogation à ce principe essentiel de protection du domaine public – qui est aussi une spécificité très française – n'a pas été prise à la légère. Le texte prévoit des garanties fortes et un encadrement précis pour l'emploi du mécanisme créé par son premier article. La Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS), assistée de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, pourra poursuivre son travail, dont je salue la grande qualité. Elle le fera de plus en plus aux côtés des établissements culturels, qui sont désormais reconnus comme de véritables forces d'impulsion pour les restitutions de biens culturels spoliés. L'indépendance et la qualité scientifique des avis de la CIVS garantiront la transparence et l'équité qui fonderont les décisions de restitution de la part des autorités publiques propriétaires de biens juifs spoliés.
Le sujet de la facilitation des restitutions des biens culturels juifs spoliés réclamait en effet, par son importance et par l'impératif d'une justice plus rapide qu'il nous impose, une avancée décisive et plus que symbolique. C'est cela que la loi-cadre permettra.
Les musées privés labellisés « musée de France » sont eux aussi fortement invités à progresser sur le terrain des restitutions, grâce à l'accès au même dispositif dérogatoire prévu par l'article 2. Le marché de l'art dans son ensemble devrait, pour plus de probité, s'inspirer de l'amélioration de la recherche de provenance.
Durant les débats parlementaires, la question de la dénomination du régime français en place durant la seconde guerre mondiale a fait l'objet de nombreuses discussions, et d'une réflexion approfondie de notre part. Je suis satisfaite que le Sénat ait accepté lors de la commission mixte paritaire (CMP) de retenir les termes que nous avions adoptés à l'Assemblée. Je remercie la rapporteure du Sénat, Mme Gosselin, pour sa précieuse coopération, en amont et au cours de la CMP.
Je remercie aussi l'ensemble des sénateurs et des députés pour leur travail engagé et pour les discussions constructives que nous avons eues à tous les stades de l'examen du texte.
L'apport des historiens consultés aura été très précieux.
À mon sens, l'appellation retenue permet de ne pas faire l'impasse sur l'ensemble des responsabilités françaises dans les persécutions antisémites et les spoliations de biens culturels juifs, perpétrées certes sous l'influence du régime nazi, mais aussi de l'initiative propre de l'État français, et avec son soutien administratif et matériel. Elle permet également, en creux et grâce aux bornes temporelles choisies, de signifier que toute la France n'était pas dans la collaboration, et qu'un certain nombre de Français courageux se sont engagés pour la restauration de la République et ont contribué à sauver l'honneur de la France. Je pense à Rose Valland, figure de la Résistance de l'intérieur, dont l'action méticuleuse de recensement a permis de retracer le parcours des biens spoliés et de mener à leur restitution ; à Léon Gautier, figure de la Résistance militaire, qui vient de nous quitter et qui, dès 1940, défilait à Londres devant le général de Gaulle pour le 14 juillet – c'était il y a quatre-vingt-trois ans, presque jour pour jour ; à Jean Moulin, dont nous avons commémoré, le 8 juillet, le quatre-vingtième anniversaire de la disparition tragique, et dont l'action décisive a permis la coordination des différents mouvements de la Résistance intérieure française et l'instauration du Conseil national de la Résistance (CNR). Dès 1940, ces personnes se sont dressées pour rétablir la justice. Nous reprenons, à notre modeste niveau, le témoin qu'ils nous ont passé pour continuer la course contre l'oubli.
Nous devons considérer ce texte comme un jalon supplémentaire sur le chemin de la reconnaissance des crimes antisémites, et comme une invitation à continuer l'indispensable travail de mémoire qui constitue notre dette commune.
Nous autres parlementaires aurons, je n'en doute pas, à cœur de suivre le dossier des restitutions dans le cadre de nos travaux de contrôle et d'information. Je serai moi-même particulièrement vigilante quant aux moyens qui seront consacrés à la recherche de provenance, clé de la mise en œuvre des dispositifs que nous allons créer.
Le 16 juillet, nous commémorerons la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France. C'est à eux qu'iront mes derniers mots. Il ne s'agit en aucun cas de prétendre que l'on peut réparer les persécutions et les crimes antisémites, ni même la Shoah, tout simplement parce qu'on ne peut réparer, ni symboliquement ni financièrement, l'irréparable. Néanmoins, nous devons tout faire pour restaurer un peu de l'identité des personnes qu'on avait voulu effacer. Je pense sincèrement qu'à son échelle, ce texte peut y contribuer. Les ravages de l'antisémitisme n'appartiennent malheureusement pas qu'au passé ; nous ne devons jamais cesser de lutter contre ce fléau.
Le 10/08/2023 à 22:11, Aristide a dit :
"Durant les débats parlementaires, la question de la dénomination du régime français en place durant la seconde guerre mondiale a fait l'objet de nombreuses discussions, et d'une réflexion approfondie de notre part."
Le gouvernement des collabos, cela lui va bien...
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