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Intervention de Fabienne Colboc

Séance en hémicycle du jeudi 29 juin 2023 à 9h00
Restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabienne Colboc, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

J'ai l'immense honneur de vous présenter aujourd'hui, au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. En ce moment historique, je veux saluer le chemin parcouru en un temps relativement court pour parvenir à l'élaboration de ce projet de loi-cadre, depuis l'adoption, l'an dernier, de la loi d'espèce ayant permis la restitution de quinze œuvres spoliées ; je tiens à remercier de nouveau Mme la ministre, pour avoir défendu le présent texte dès la première année de cette législature.

Le 25 janvier 2022, je concluais mon propos dans cet hémicycle, non sans émotion, devant des ayants droit assis dans les tribunes, en soulignant que le projet de loi d'espèce permettant la restitution de certains biens culturels spoliés dans le cadre de persécutions antisémites constituait une première étape très importante, mais non un aboutissement. Si le texte que nous examinons aujourd'hui constitue bien un jalon essentiel, je veux affirmer solennellement, au risque de me répéter, qu'il ne saurait être question de célébrer un aboutissement, de considérer que notre travail est terminé et que nous serions désormais quittes de la question de la restitution des biens spoliés : c'est impossible, car rien ne viendra jamais réparer l'horreur ou l'indignité des faits commis.

Au contraire, ce projet de loi doit être l'aube d'un effort renouvelé de toutes nos institutions publiques culturelles pour faire la lumière sur la provenance des biens conservés. Le débat d'aujourd'hui doit aussi être l'occasion de rappeler que l'antisémitisme, et plus largement les discours de haine ou d'exclusion, n'ont pas disparu et doivent demeurer l'objet d'une vigilance permanente et d'une lutte constante de notre part à tous.

La persécution des Juifs a connu des formes diverses entre 1933 et 1945 et le vol de leurs biens constituait souvent le préalable aux assassinats dont ils ont été victimes en masse. Avant l'extermination méthodique, avant la Shoah, il y eut les spoliations, c'est-à-dire les vols, les pillages, les confiscations ou les ventes forcées ; elles ont joué un rôle central dans la politique d'exclusion sociale et économique des Juifs de France et d'Europe. S'en prendre aux biens, c'est toucher l'intime, c'est le début de la nuit. Ces spoliations ont été conduites par le régime nazi avec la complicité de l'État français sous l'Occupation. La dette que l'État français conserve à l'égard des victimes et de leurs familles est imprescriptible, comme le reconnaissait le président Jacques Chirac en 1995.

Le présent texte ne réparera pas l'irréparable, mais il nous aidera à restaurer un peu de justice. Les restitutions de biens spoliés n'ont pas uniquement pour objet de compenser un préjudice matériel, mais bien de rétablir un titre de propriété légitime et de contribuer à garantir le respect de la dignité des victimes de la barbarie nazie. La spoliation des biens culturels par la suppression d'une partie de l'identité des Juifs qui en ont été victimes constituait l'une des premières attaques contre leur humanité, dont la « solution finale » a représenté la suite tragique et définitive.

Le projet de loi soumis à notre discussion a été adopté en première lecture par le Sénat à l'unanimité le 23 mai dernier. Son caractère symbolique y a été amplement souligné et la simplicité et la praticité du dispositif proposé, largement reconnues. J'ai le plus grand espoir que nous puissions parvenir à un accord tout aussi unanime aujourd'hui, car ce texte constitue à mon sens une avancée réelle dans la prise en compte par la France de la nécessité absolue de restituer les biens culturels spoliés. La France a trop longtemps fait preuve d'une forme de réticence à se pencher sur son passé, alors même que l'après-guerre avait constitué une période très active dans notre pays pour la recherche des biens spoliés et leur restitution. À cela s'ajoute la spécificité juridique française du caractère inaliénable des collections publiques, qui réduisait le champ des restitutions possibles.

L'impulsion donnée à la recherche de provenance par la création de la M2RS au sein du ministère de la culture et la coordination de son action avec la CIVS pourraient donner lieu à la découverte de nombreux biens spoliés. Une loi-cadre permettra d'accélérer le rythme des restitutions. Elle constituera un signe fort d'engagement de la part de la France et accompagnera la démarche plus volontariste des établissements culturels, qui ont désormais pris toute la mesure de l'enjeu consistant à être les conservateurs de collections propres. Le marché de l'art a pris conscience de l'importance de ces enjeux, et le présent texte devrait l'inspirer à s'améliorer encore dans la recherche de provenance.

L'article 1er institue une nouvelle procédure de sortie des biens culturels du domaine public, dérogatoire au régime d'inaliénabilité : elle permettra à la personne publique, après avis de la CIVS, de prononcer la restitution à son propriétaire ou à ses ayants droit de tous types de biens culturels – œuvres d'art, livres, instruments de musique – ayant fait l'objet d'une spoliation. L'article prévoit aussi la possibilité d'autres modalités d'accord entre les personnes publiques et les ayants droit, au-delà des compensations financières, ce qui ouvre des perspectives intéressantes.

La commission prévue par le texte s'inscrira dans les pas de la CIVS, instaurée en 1999, qui a vu ses compétences renforcées et élargies en 2018. Le travail remarquable qu'accomplit la CIVS pourra ainsi être poursuivi : ses avis scientifiques et indépendants sont une garantie d'impartialité de l'action publique dans les restitutions – il faut s'en féliciter. En commission, nous sommes parvenus à l'adoption très large d'une qualification des autorités françaises durant l'Occupation, préparée par de nombreuses consultations ; il s'agit d'un point d'équilibre satisfaisant, qu'il convient de préserver.

L'article 2 permet l'application de la procédure prévue à l'article 1er aux biens des collections des musées privés portant le label « musées de France », acquis par dons et legs ou avec le concours de l'État ou d'une collectivité territoriale. Cette capacité donnée aux musées privés est susceptible de créer une impulsion nouvelle afin qu'ils prennent en compte l'enjeu des restitutions de biens spoliés.

L'article 4, ajouté en séance au Sénat, prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport pour l'informer des biens culturels spoliés ayant fait l'objet d'une restitution. Notre travail en commission a permis d'enrichir le contenu de ce rapport, qui devra mentionner les biens concernés par des modalités de réparation autres que la restitution ; il a été également décidé que le rapport sera bisannuel.

Vous l'aurez compris, le présent projet de loi apparaît cohérent et nécessaire ; il répond à un besoin de simplification pour faciliter les processus de restitution et parvenir à des solutions justes et équitables, en ligne avec les principes de la conférence de Washington applicables aux ?uvres d'art confisquées par les nazis.

L'application de la loi ne doit évidemment pas conduire à écarter le Parlement de ce sujet : il nous reviendra d'user des instruments dont nous disposons pour continuer à faire vivre la mémoire de ces évènements et à suivre l'avancée des restitutions, que ce soit par l'audition régulière de la CIVS ou par des travaux d'information et d'évaluation des résultats obtenus. Ce suivi devra notamment nous permettre d'alerter le Gouvernement, le cas échéant, sur les besoins en moyens supplémentaires.

Qu'il me soit permis, en conclusion, de rendre hommage à toutes les personnes qui se sont engagées, individuellement ou collectivement, pour la défense des familles juives dépossédées. À l'instar de Mme la ministre, je pense bien sûr à Rose Valland, qui a œuvré à ce que soient documentés un grand nombre de transferts de biens culturels. Je pense à Jean Mattéoli, dont le rapport de 1997 sur la spoliation des Juifs de France a fait date. Je pense aussi aux parlementaires qui ont remis le débat au cœur des hémicycles, Mmes Marie-Christine Blandin et Corinne Bouchoux.

Je remercie les collègues qui se sont engagés à mes côtés sur cette question, notamment Fabrice Le Vigoureux et Caroline Yadan. Je remercie Aurore Bergé pour sa confiance et Mathieu Lefèvre pour ses éclairages précieux. Je remercie aussi les députés de la majorité Estelle Folest, Sophie Mette et Jérémie Patrier-Leitus, ainsi que tous les autres députés avec qui j'ai pu échanger.

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