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Intervention de Jean Terlier

Réunion du mercredi 14 juin 2023 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier, rapporteur général du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 :

Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027, récemment examiné au Sénat, est un rendez-vous incontournable pour notre commission. Le Président de la République l'a dit lors de son allocution du 17 avril, et les membres de la majorité en sont également absolument convaincus, la justice et l'ordre public, qui sont au service de l'État de droit, constituent des chantiers prioritaires pour la France.

Après l'adoption de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui a été l'occasion d'un débat riche et d'engagements forts de la part du Gouvernement, nous attendions avec impatience de débattre de la justice. Nous nous réjouissons donc de pouvoir fixer, comme nous l'avions fait avec votre prédécesseure, Nicole Belloubet, les grandes orientations stratégiques et financières pour le quinquennat qui s'ouvre, d'autant que ces orientations sont particulièrement ambitieuses.

À l'époque, nous avions déjà engagé de grandes transformations qui se sont, depuis, concrétisées avec succès. Je pense à la création du code de la justice pénale des mineurs, sur lequel j'ai eu la chance de travailler longuement avec notre collègue Cécile Untermaier, et qui a permis, comme vous l'avez dit, de diviser par deux les délais de jugement des mineurs tout en renforçant leur prise en charge éducative. Je pourrais également évoquer la création des cours criminelles, expérimentées puis généralisées pour limiter la correctionnalisation des crimes et réduire les délais de jugement devant les cours d'assises.

Tout au long du quinquennat, nous n'avons eu de cesse de réformer notre justice, en travaillant sur la création des tribunaux judiciaires, la responsabilité pénale, les violences intrafamiliales, la lutte contre la haine en ligne, la discipline des professionnels du droit ou encore l'accès au travail des détenus.

Tout cela aurait été inutile sans un accompagnement financier fort. Malgré un contexte de tension pour nos finances publiques, nous avons maintenu une hausse sans précédent du budget de la justice : il a augmenté de 8 % en 2021, en 2022 et en 2023.

Nous ne pouvons nier la persistance de certaines difficultés, qui résultent du sous-investissement chronique dans la justice des gouvernements précédents, de gauche comme de droite. Nous prenons nos responsabilités et nous cherchons à apporter des réponses opérationnelles à ces défis : réduire les délais, au pénal mais aussi en matière civile, commerciale et prud'homale, domaines trop souvent délaissés alors qu'ils touchent au quotidien de nos concitoyens ; simplifier et moderniser les procédures, notamment en s'appuyant sur le numérique et les nouvelles technologies ; revaloriser les métiers de la justice pour recruter des magistrats et ceux sans qui l'œuvre de justice est impossible, les greffiers, les éducateurs ou les surveillants pénitentiaires, ce qui passe par une meilleure gestion des carrières, de la formation et de la mobilité ; répondre au défi de la surpopulation carcérale, qui porte gravement atteinte à la dignité humaine des détenus et aux conditions de travail dans les établissements pénitentiaires – c'est toute la chaîne pénale, de l'engagement des poursuites à la réinsertion, qui est concernée ; poursuivre, enfin, l'effort financier nécessaire pour atteindre ces objectifs et moderniser l'institution judiciaire – ses applications métiers, son immobilier, mais aussi sa communication auprès des citoyens.

Nous avions l'intuition de ces constats et de ces besoins, bien sûr, mais il était important de faire un diagnostic précis et partagé par les professionnels. L'effort de réflexion engagé dans le cadre des États généraux de la justice est, de ce point de vue, historique. Il faut souligner l'innovation que constitue l'association d'un si grand nombre de professionnels pour réfléchir librement, sans influence du politique, sur l'avenir d'une institution. Consultation publique, débats partout en France, concertation au niveau ministériel : c'est une méthode nouvelle qui devra être reconduite.

Le temps est désormais venu de faire des choix. C'est le rôle du Gouvernement et du Parlement, qui n'ont jamais eu autant de cartes entre les mains. S'appuyant sur les constats et les recommandations des états généreux, ou plutôt des États généraux de la justice, les dispositions du projet de loi ordinaire répondent avec réalisme aux attentes des usagers et des professionnels de la justice.

S'agissant des réformes de la procédure civile, nous avons un regret, ou une petite frustration, monsieur le garde des sceaux. C'est un volet capital des États généraux de la justice, mais il relève pour l'essentiel du domaine réglementaire et nous n'avons donc pas d'accroche, dans les deux projets de loi, pour permettre au Parlement d'en débattre et de se prononcer.

Nous aurions aimé exprimer notre soutien à cette réforme, à la véritable politique de l'amiable que vous comptez instituer, notamment par la création d'une audience dédiée au règlement amiable et par la simplification de la procédure d'appel. Ce soutien, nous l'exprimerons en tout état de cause à travers le vote du rapport annexé, qui décline de nombreuses mesures infralégislatives, dont nous nous réjouissons, en matière de ressources humaines, d'immobilier et de préservation de l'environnement.

Des simplifications bienvenues relèvent en revanche du domaine de la loi. Je pense au transfert des fonctions civiles du juge de la liberté et de la détention (JLD) à un magistrat du siège, mesure soutenue par les présidents de juridiction que nous avons auditionnés. Il en est de même de la réforme des saisies des rémunérations. Cela permettra d'alléger la charge de travail des greffes des tribunaux judiciaires à hauteur de 140 équivalents temps plein (ETP).

Les craintes exprimées sur le dernier point me paraissent injustifiées. D'abord, le Conseil d'État a porté une appréciation positive sur cette réforme. Ensuite, il ne s'agit pas d'une déjudiciarisation, car le juge de l'exécution demeurera compétent – le Sénat a même adopté un amendement pour faciliter encore la saisine de ce juge. C'est un alignement sur le droit commun qui permettra aux commissaires de justice de procéder aux saisies sans autorisation préalable, comme pour les autres saisies mobilières. Enfin, le projet de loi ne remet pas en cause la protection du salaire, et ne touche pas à la définition des quotités saisissables.

Le projet de loi ordinaire permettra aussi à des professions du droit de se rénover, de se moderniser, grâce au développement de la communication électronique dans le cadre des procédures collectives ou encore au rehaussement du niveau de diplôme requis pour accéder à la profession d'avocat, réforme souhaitée par le barreau.

Nous soutiendrons également l'expérimentation d'un tribunal des activités économiques. Le précédent des cours criminelles départementales nous incline à penser que la voie de l'expérimentation est la bonne méthode. Nous souhaiterions, cependant, avoir des précisions sur les tribunaux de commerce qui seront choisis pour mener l'expérimentation.

L'investissement dans la justice est également financier, avec le recrutement inédit de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers. Le défi est réel : il faut recruter massivement, sans pour autant transiger sur la qualité des personnes recrutées. L'École nationale de la magistrature, l'École nationale des greffes, l'ensemble des juridictions et la direction des services judiciaires sont mobilisées pour former les nouveaux professionnels. Les recrutements seront facilités par la réforme des voies d'accès à la magistrature prévue à l'article 1er du projet de loi organique, qui doit fluidifier l'accès des professionnels au corps judiciaire.

L'équipe autour du magistrat sera étoffée grâce aux recrutements d'attachés de justice, qui se substitueront aux juristes assistants, pour faire non seulement de l'aide à la décision, mais également du soutien à l'activité administrative et à la mise en œuvre des politiques publiques.

Vous précisez au travers du rapport annexé votre plan d'action pour la justice, qui se décline en six points. Je souhaite en mettre un en exergue, le plan ambitieux de transformation numérique, qui est indispensable pour fluidifier l'accès des justiciables à la justice et faciliter le travail en juridiction.

Le projet de loi prévoit également trois avancées concernant l'administration pénitentiaire.

Tout d'abord, la création des surveillants pénitentiaires adjoints, qui seront recrutés par voie contractuelle, permettra, je l'espère, de renforcer l'accès à cette administration dont on sait combien les conditions de travail sont spécifiques. Je salue ces agents qui exercent des métiers essentiels à notre société dans des conditions parfois extrêmement difficiles. Je sais que vous conduisez actuellement une revalorisation statutaire et indemnitaire, et je tiens à souligner les efforts qui sont faits en la matière.

Ensuite, nous nous réjouissons des dispositions permettant d'élargir le vivier de la réserve civile pénitentiaire.

Troisièmement, le projet de loi permet de généraliser l'expérimentation du port de caméras individuelles par les agents pénitentiaires. C'est un progrès évident, notamment sur le plan de la lutte contre les violences en détention, au sujet desquelles votre ministère est particulièrement engagé.

J'en viens au titre VI, qui est consacré aux juridictions administratives et financières. Il s'agit principalement de mesures de simplification ou de coordination liées aux transformations récentes qui ont touché ces juridictions – la réforme de la haute fonction publique et l'ordonnance relative à la responsabilité financière des gestionnaires publics. Ces dispositions ne posent pas de difficultés majeures, à l'exception d'un désaccord de principe avec le Sénat concernant certaines évolutions du statut des magistrats financiers.

Avant de laisser la parole à mes collègues rapporteurs au sujet des dispositions dont ils ont plus particulièrement assuré le suivi, je remercie tous ceux qui se sont mobilisés, députés et personnes auditionnées, lors de nos travaux, conduits dans des délais contraints. Depuis le 30 mai, nous avons réalisé plus d'une cinquantaine d'heures d'auditions et nous avons rencontré plus de soixante-dix intervenants, ce qui était primordial pour que nous puissions nous faire notre avis sur ces deux textes.

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